Dimanche soir, devant ma télé, comme je découvrais les résultats des législatives, je me suis crue à la fin du film Festen, de Thomas Vinterberg. Vous vous souvenez ? Lors d’un repas de famille, un des fils, peur de rien, met soudain les pieds dans le plat. Quelques mots et c’est le psychodrame. D’inavouables vérités explosent, les vieux tireurs de ficelles sont dézingués et la tribu, complètement désintégrée. La vie, dans cette famille aux rituels bien huilés, ne sera plus jamais comme avant. Seule et notable différence avec la fin de notre feuilleton électoral, Festen se clôt sur un champ de ruines et un monde sans avenir, tandis que la France, après avoir carbonisé la quasi-totalité de ses familles politiques, s’est trouvé un nouveau chef. Non seulement il a renversé la table mais il nous a juré qu’il allait purger la tribu de ses vices, tout en redonnant un lustre inédit à la fonction de président protecteur, ce qui a instantanément déclenché chez les Français une stupéfiante vague d’espoir. Il lui restait à obtenir une majorité à l’Assemblée. Le pari était risqué mais il l’a remporté haut la main. Fin de la saison 1, celle des promesses. Quelle sera la 2, celle des actes ? 

L’autre soir, quand j’ai assisté à l’écrasante victoire du mouvement En marche !, je me suis fait la réflexion qu’en dépit de ce triomphe — et surtout à cause de ce triomphe — je n’en mènerais pas large, si j’étais députée LREM. Tous les jours, au moment de rejoindre mon siège à l’Assemblée, je serais dans mes petits souliers et, pour me donner du cœur au ventre, je me réciterais comme un mantra ces vers d’Apollinaire : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente… »

« Violente », d’ailleurs, le mot est faible. L’espoir qui, dans l’esprit des Français, a soudain remplacé la peur est pour partie une folle impatience. C’est la tyrannie du « Je veux tout, vite, et si possible tout de suite ». Dans ces conditions, le « parti unique » n’est pas le mouvement En marche ! et ses quelque 320 députés, comme le crie à tous vents Jean-Luc Mélenchon, mais notre fonctionnement mental. Des années qu’Internet et ses outils, portables et ordis, l’ont réinitialisé à bas bruit, chamboulant subrepticement notre conception du temps et métamorphosant ainsi notre regard sur le monde. À notre insu, nous nous sommes mis à le voir comme un immense supermarché d’options où chacun peut puiser à sa guise tout en imposant la loi du service express et du zéro défaut. Oui, le logiciel macronien a bouleversé la donne politique. Mais les électeurs qui l’ont plébiscité ne se résument pas tous, loin de là, à leurs convictions citoyennes. Ce sont aussi des consommateurs pointilleux et ultrapressés, qui ont pris l’habitude d’assouvir leurs désirs en trois clics de souris. En échange de leur confiance, ils veulent du résultat. Et de l’immédiat. 

C’est ce qui m’a effrayée dimanche soir quand j’ai vu s’afficher sur mon téléviseur le visuel de notre nouvel hémicycle et déferler la marée de pixels violets qui y symbolisait le triomphe des « Marcheurs ». Comment leurs bataillons de députés vont-ils répondre aux exigences de l’opinion, d’autant plus impérieuses que nous venons de passer sans transition d’une anxiété collective sans précédent à une espérance inédite — du jamais-vu depuis 1958 ? 

Cette inquiétude, pour moi, ne tient ni au nombre des députés LREM, ni à leur jeunesse, ni à l’inexpérience politique qu’on leur prête. Et je ne vois d’autre façon de la conjurer qu’en me répétant que leur tâche, c’est aussi la mienne. Je dois admettre dès maintenant que mes attentes, mes désirs et mes rêves perso — la « violente espérance » du poète — ne seront pas satisfaits sur l’heure. Je devrai lutter contre mon conditionnement au « tout, tout de suite » et au « moi d’abord » qu’ont généré les outils de la modernité. Et accorder à nos nouveaux députés quelques semaines d’observation, le temps de confronter la pesanteur des institutions à la folle espérance du pays. Cet intermède, que j’espère bref, me semble d’autant plus légitime que le triomphe s’accompagne toujours d’un deuil, celui de la surtension de la conquête et de l’exaltation qui l’a accompagnée. C’est seulement quand ce deuil est fait que l’énergie se renouvelle et parvient à se colleter aux contraintes du réel. La première de ces dures réalités, c’est que 57 % de nos concitoyens, par indifférence, frustration, désillusion ou dégoût du politique, n’ont pas voté. 

À cette majorité presque écrasante, j’accorde donc le droit, momentanément, de se sentir écrasée. Et d’apprendre à distinguer, derrière la pression du « tout, tout de suite » et l’exigence de zéro défaut du citoyen-consommateur, les vraies urgences. Ici l’hémorragie du déficit, là, l’asphyxie du chômage de masse, les jeunes sous perfusion de RSA, le monde rural en dépression, la thrombose fiscale, les PME en arrêt cardiaque, le cancer de l’environnement. Enfin, ce corps social fracturé, foyer favori de la peste populiste. Oui, les députés placés au chevet de la France devront fonctionner en flux tendu. Mais nous, les patients — par définition impatients — devons aussi cesser de piaffer en permanence et de nous complaire dans la déprime. C’est bien connu : on a beaucoup moins de chances de guérir si on trépigne et qu’on s’abandonne aux idées noires. L’espoir ne dépend pas seulement de ceux qui nous font espérer. Il se travaille. Et de ce côté-là, nous les Français, nous avons aussi beaucoup de pain sur la planche… 

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