Comprendre le prix de l’eau, c’est d’abord comprendre ce que l’on paie. Sur notre facture d’eau, le gros est constitué essentiellement de coûts fixes, liés à l’entretien du réseau de canalisations et des usines d’eau potable et d’assainissement. Ensuite, il y a des taxes, et notamment des redevances prélevées par les agences de l’eau, qui ont un sens historique : c’est le principe du « pollueur-payeur », à savoir que les consommations d’une ressource partagée commune vont être compensées par des investissements dans la réalisation ou la réfection du système. En gros, quand je paie mon eau, je contribue aussi au fait d’essayer de ne pas la gaspiller.

« Si l’on paie l’eau moins cher, n’est-ce pas au détriment de la ressource en eau et de sa qualité ? »

De là découle la deuxième question : paie-t-on l’eau trop ou pas assez cher ? Il y a dix ans, la priorité des élus et de nombreux travaux de recherche était de savoir comment payer toujours moins cher. La logique était simple : l’investissement dans les réseaux ayant déjà été fait, il ne restait plus qu’à trouver des leviers d’économies. On avait alors la vision d’une ressource infinie, sans contraintes. On ne s’inquiétait pas tellement, par exemple, du milliard de mètres cubes d’eau perdu chaque année à cause des fuites, soit l’équivalent de la consommation de vingt millions d’habitants ! Aujourd’hui, nous avons opéré un profond changement de paradigme en raison de la répétition des sécheresses : si l’on paie l’eau moins cher, n’est-ce pas au détriment de la ressource en eau et de sa qualité ? Et dès lors, faut-il jouer sur le prix de l’eau pour en maîtriser la consommation ?

« L’eau devient même un facteur de concurrence entre les régions »

Derrière cette idée, il y a l’intuition qu’il existerait un seuil de consommation anormal, indésirable, et qu’il faudrait donc faire payer au prix fort cette surconsommation. Ce dispositif, appelé « tarif progressif », est aujourd’hui en place dans une dizaine de services d’eau en France, mais pas des moindres – Lyon et Montpellier notamment –, et concerne donc une population importante. Du point de vue de l’efficacité économique, le résultat est discutable. En matière de portée symbolique, et donc de changement des représentations, c’est plus intéressant. Mais est-ce pour autant juste ? En réalité, le système est complexe, mal adapté à la diversité des ménages ou aux logements collectifs et va notamment se révéler défavorable aux familles nombreuses, forcément plus consommatrices. Mais cela revient aussi à se demander si tout le monde est logé à la même enseigne. En France, la moitié de l’eau est consommée par l’agriculture, 30 % par l’industrie et 20 % par les ménages. Va-t-on appliquer ce tarif progressif aux entreprises ? Et quid des agriculteurs, dont beaucoup bénéficient encore d’un tarif dégressif, c’est-à-dire que plus ils utilisent d’eau, moins cher ils la paient ?

C’est au niveau de ces secteurs, plus encore que dans les ménages, chez lesquels on constate une baisse tendancielle de la consommation, que se situe le vrai enjeu. L’eau devient même un facteur de concurrence entre les régions, qui peuvent ou non fournir l’eau nécessaire à l’implantation d’entreprises, par exemple. Plus que le prix de l’eau, qui peut être un levier parmi d’autres pour maîtriser la consommation, la vraie question tient donc au coût de l’eau – au coût social, environnemental et économique qu’il faudra payer le jour où elle viendra à manquer. Qui paiera pour les récoltes perdues ? Et qui acceptera de payer pour refaire le réseau de canalisations afin d’éviter les fuites ? Nous devons garder à l’esprit la tragédie des horizons : agir et investir aujourd’hui dans le réseau d’eau, c’est se payer une assurance contre le risque climatique. C’est accepter que le prix payé sur le court terme puisse préserver d’un coût supérieur sur le long terme. 

 

Conversation avec JULIEN BISSON

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