En présentant Alain Juppé à sa succession comme président du RPR en 1994, Jacques Chirac avait dit ces mots, souvent répétés depuis : « celui qui est probablement le meilleur d’entre nous ». L’appréciation vaut pour les deux passages du candidat à la primaire de la droite et du centre au Quai d’Orsay. Alain Juppé est considéré comme un des meilleurs ministres des Affaires étrangères de la France contemporaine. Par nombre d’observateurs de la vie internationale et d’anciens collaborateurs. Ce n’est pas anodin, car les diplomates ont souvent – en privé – la dent dure pour leur ministre.

L’éloge n’est cependant pas unanime. À rebours des satisfecit adressés à Alain Juppé, Bernard-Henri Lévy a dénoncé une « imposture ». Il lui reproche de ne pas avoir été assez actif pendant la guerre en Bosnie, d’avoir été au minimum passif face au génocide au Rwanda et tiède sur l’intervention en Libye. Alain Juppé n’est pas insensible aux droits de l’homme. Il l’a dit en janvier 2012, à l’Assemblée nationale, en répondant à une question sur la Birmanie : « Mais au-delà de la défense des intérêts de la France, je crois que la vraie mission de la diplomatie française, c’est aussi de se battre pour des valeurs. C’est d’être sans ambiguïté aux côtés de ceux qui se battent pour la liberté, pour la démocratie, pour les droits de l’homme. C’est là qu’est la vraie grandeur de la France. » Mais il ne confond pas le ministère des Affaires étrangères avec la présidence de Médecins sans frontières. D’ailleurs, quand un ancien président d’une organisation humanitaire est devenu chef de la diplomatie, il a dû composer, bon gré mal gré, avec la Realpolitik.

Alain Juppé a occupé deux fois le poste. D’abord de 1993 à 1995, lors de la cohabitation entre François Mitterrand et le gouvernement d’Édouard Balladur. Il s’entend mieux avec le président socialiste et le secrétaire général de l’Élysée, Hubert Védrine, qu’avec le Premier ministre, issu du même parti que lui mais rival de Jacques Chirac. Puis de 2011 à 2012, sous la présidence Sarkozy. En plein tourbillon des « printemps arabes », il est appelé à remplacer Michèle Alliot-Marie, empêtrée dans ses douteuses amitiés tunisiennes et disqualifiée par ses déclarations intempestives de soutien implicite au régime de Ben Ali. Si Juppé est considéré comme un bon ministre des Affaires étrangères, c’est aussi, en partie, par comparaison.

La communauté des diplomates français loue son dynamisme, sa connaissance des dossiers, sa capacité à faire participer ses collaborateurs à la prise des décisions, son intérêt pour la marche du « département ». Comme beaucoup de ses prédécesseurs et successeurs, il y est allé de sa réforme du ministère. Elle n’a pas laissé un souvenir impérissable. Il a toutefois créé en 1993 la conférence annuelle des ambassadeurs qui perdure et qui est l’occasion pour les responsables de la diplomatie française de rappeler les grandes orientations.

Alain Juppé n’avait ni la mission ni l’intention de révolutionner la politique étrangère française, qui reste la prérogative du président de la République. En 2011, il a obtenu de Nicolas Sarkozy de ne pas être entravé par les manœuvres vers l’étranger de Claude Guéant, qui a été exfiltré du secrétariat général de l’Élysée vers le ministère de l’Intérieur. C’est d’un autre côté qu’est venu le coup. Le chef de la diplomatie française a été court-circuité par Bernard-Henri Lévy. Le philosophe a convaincu Sarkozy de reconnaître le Conseil national de transition libyen sans en informer son ministre, simplement oublié, ou tenu pour un cynique absolu.

À tort. Déjà en 1993, Alain Juppé avait persuadé François Mitterrand d’infléchir la politique française en Bosnie, soucieuse jusqu’alors de maintenir un impossible équilibre entre les agresseurs et les agressés : il impose des zones de sécurité et, après le bombardement du marché de Markale à Sarajevo, soutient l’ultimatum de l’OTAN adressé aux Bosno-Serbes. « Vous êtes bien conscient que nous nous engageons dans une stratégie qui peut conduire à l’affrontement. Cela dit, allez-y », lui avait dit Mitterrand. C’étaient les prémices d’un changement plus net avec l’arrivée de Chirac à l’Élysée en mai 1995.

Dans la guerre civile en Syrie, Alain Juppé a très vite pris une position hostile à Bachar Al-Assad, soutenue par Nicolas Sarkozy et poursuivie par leurs successeurs après 2012. L’ambassade de France à Damas est fermée, l’ambassadeur rappelé, car, estime le ministre, « les jours du régime syrien sont comptés » et Assad relève du Tribunal pénal international pour sa répression sanglante de l’opposition pacifique. 

Une erreur d’appréciation due à une surestimation de la capacité de la « communauté internationale » à maintenir la paix. Alain Juppé en avait pourtant fait la douloureuse expérience en 1994, au moment du génocide au Rwanda. Là aussi, la « communauté internationale » avait failli, et pas seulement la France. Cette « communauté internationale » est plus que jamais une fiction, alors que Vladimir Poutine bombarde allègrement les opposants syriens. Contrairement à certains de ses concurrents à la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé a au moins la lucidité de ne professer aucune indulgence à l’égard du président russe. 

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