Sur un toit de la Vieille Ville
une lessiveuse dans l’ultime lumière du jour :
le drap blanc d’une ennemie
la serviette avec laquelle mon ennemi
essuie la sueur de son front.

Dans le ciel de la Vieille Ville
un cerf-volant.
Et au bout du fil,
un enfant
que je ne peux voir
à cause du mur.

Nous avons hissé beaucoup de drapeaux,
ils ont hissé beaucoup de drapeaux.
Pour nous faire croire qu’ils sont heureux.
Pour leur faire croire que nous sommes heureux.

Poèmes de Jérusalem, traduit par Michel Eckhard Elial, Éditions de l’Éclat, 1990

Certains poètes voudraient nous consoler. Parce qu’ils ne mentent pas, ils nous rappellent qu’on pleure « avec les mêmes yeux qui rient », qu’une même colline peut évoquer un premier bombardement et un premier baiser. Né en Allemagne en 1924, Yehuda Amichaï arrive en Palestine en 1935. Il combat pendant la Seconde Guerre mondiale et les premiers conflits armés d’Israël. C’est à Jérusalem qu’il compose l’essentiel de ses vers, en « fanatique de la paix ». Ceux-ci mêlent la louange amoureuse et les expériences personnelles à l’Histoire en train de se faire. Les images, singulières, s’enracinent dans la vie quotidienne. L’humour n’interdit pas l’indignation. Ainsi de cette vue en hauteur de Jérusalem. Le linge lavé, blanc comme pour une trêve, laisse place aux couleurs de l’enfance, puis à celles des nationalismes fanfarons. Le premier ennemi est une femme, le deuxième un homme, avant qu’un gamin ne se laisse deviner. S’agit-il d’une famille ? Pourquoi opposer un nous à un ils ? Yehuda Amichaï sait que Jérusalem foisonne de symboles : l’air y est « saturé de prières et de rêves / comme l’air des villes industrielles ». Mais l’écrivain leur préfère les êtres réels. S’il reste attentif à l’invisible, il n’attend aucun Messie. Sa ville adoptive, s’amuse-t-il, manque plutôt d’un « Monsieur Loyal, avec un fouet en main / pour apprivoiser les prophéties et entraîner les prophètes / à galoper en cercle ». Gardons espoir. 

 

 

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