La dernière émeute remonte à 2008, une bataille à coups de cierges brandis comme des matraques et ils sont grands, les cierges du Saint-Sépulcre. Tout à coup, popes grecs-orthodoxes et moines arméniens se sont empaillés au beau milieu de la foule. Il paraît qu’ils se sont entre-déchiré les chasubles, rouge doré d’un côté, bleu et blanc de l’autre – à voir sur YouTube. Ces serviteurs du même Dieu se seraient trucidés sans les gardes d’Israël qui veillent placidement sur le parvis. En 2004, les catholiques ayant laissé une porte ouverte, les orthodoxes, offusqués, les bastonnèrent allègrement. La précédente émeute, en 2002, avait expédié à l’hôpital onze moines coptes et éthiopiens, un copte s’étant plaint qu’on avait mis sa chaise au soleil sur le toit au lieu de la laisser à l’ombre. Une pieuse basilique, ça ? Je t’en ficherai, moi, de la piété ! Une cour de récré peuplée de méchants gamins, oui ! 

Telles sont les dernières facéties de ce bâtiment qu’en 1852, un rigide « statu quo » établi par un firman de l’Empire ottoman divisa en six parcelles, une par genre de religion chrétienne. Grecs, catholiques, Arméniens, coptes orthodoxes, syriaques orthodoxes, Éthiopiens s’étaient déjà battus au nom de leurs Jésus, il fallait mettre de l’ordre, ce fut fait. Chacun son lieu, son horaire, son trajet de procession, son coin à balayer, son placard à balais. Les clefs sont confiées à deux familles musulmanes : les Joudeh, qui les possèdent, les brandissent et les remettent aux Nusseibeh qui ouvrent, trois fois par jour, les portes. Le Saint-Sépulcre, ce confetti sacré, est une métonymie de Jérusalem : émeutière, conflictuelle, masculine. Jérusalem est batailleuse ; au moins, dans le Saint-Sépulcre, musulmans et juifs font régner l’ordre. 

Dans les espaces obscurs, rôdent les longues robes des moines qui se surveillent. Prier ? Pas le temps, on zyeute ! Les femmes, elles, préfèrent un lieu de larmes et de désir, la pierre de l’Onction, une large table de marbre rose où on aurait lavé le corps de Jésus mort. Africaines, Philippines, Mexicaines, brunes ou blondes, elles s’abattent sur la pierre, la frottent avec des mouchoirs qui seront autant de reliquaires, posent leurs lèvres sur le marbre couleur chair, répétant la douleur des Juives qui, jadis, auraient elles aussi pleuré le sacrifié. 

Au Saint-Sépulcre, rien n’est vrai. Ni la tombe ni la pierre de l’Onction, ni la croix. La croix ? Éparpillée. Un morceau serait à la Sainte-Chapelle, acheté par Saint Louis avec la couronne d’épines. La pierre de l’Onction ? Les fidèles l’ayant dépiautée, on la remplaça par une cuve de marbre en 1810. La tombe, le calvaire ? Voire. 

À l’aube du christianisme, un bout de caillou fut pris pour Golgotha et devint lieu de pèlerinage. 135 : l’empereur Hadrien rase le tout et fait construire un temple à Jupiter. 326 : l’empereur Constantin découvre le tombeau du Christ et construit la basilique. Celle-ci ? Pas du tout. 614 : les Perses l’incendient ; 746 : tremblement de terre ; 841, 938 : incendies ; 966 : émeutes, incendie ; 1009 : destruction totale ; 1244 : dévastation turque ; 1808 : incendie. Ouf ! Bricolé, le saint lieu brinquebale sous des étais d’acier ; on ne peut pas le réparer car selon le statu quo, il faut l’accord des six Églises concernées. Aimez-vous les uns les autres ? Eh bien, non. 

Rien n’est vrai dans le lieu où mourut Jésus, sauf les baisers des femmes qui le pleurent sur une table de marbre rose. C’est l’essentiel.  

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