Dans un message au Congrès américain du 8 janvier 1918, alors que la Première Guerre mondiale semble devoir encore durer un an ou deux, le président des États-Unis rend publique sa vision du monde de l’après-guerre. Ce texte, dont nous publions ici un large extrait, est resté dans les mémoires comme celui des Quatorze Points. Il dessine un nouvel ordre mondial régulé par une puissante Société des nations (SDN) chargée de préserver la paix. Cette structure, à laquelle les États-Unis refuseront d’adhérer, sera remplacée par l’ONU en 1945.

Ce que nous voulons, c’est que le monde devienne un lieu sûr où tous puissent vivre, un lieu possible spécialement pour toute nation éprise de la paix, comme la nôtre, pour toute nation qui désire vivre librement de sa vie propre, décider de ses propres institutions, et être sûre d’être traitée en toute justice et loyauté par les autres nations, au lieu d’être exposée à la violence et aux agressions égoïstes de jadis. Tous les peuples du monde sont en effet solidaires dans cet intérêt suprême, et en ce qui nous concerne, nous voyons très clairement qu’à moins que justice ne soit rendue aux autres, elle ne nous sera pas rendue à nous-mêmes.

C’est donc le programme de la paix du monde qui constitue notre programme. Et ce programme, le seul possible selon nous, est le suivant :

                1. Des conventions de paix, préparées au grand jour ; après quoi il n’y aura plus d’ententes particulières et secrètes d’aucune sorte entre les nations, mais la diplomatie procédera toujours franchement et à la vue de tous.

                2.  Liberté absolue de la navigation sur mer, en dehors des eaux territoriales, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, sauf dans le cas où les mers seraient fermées en tout ou en partie par une action internationale tendant à faire appliquer des accords internationaux.

                3. Suppression, autant que possible, de toutes les barrières économiques, et établissement de conditions commerciales égales pour toutes les nations consentant à la paix et s’associant pour son maintien.

                4. Échange de garanties suffisantes que les armements de chaque pays seront réduits au minimum compatible avec la sécurité intérieure.

                5. Un arrangement librement débattu, dans un esprit large et absolument impartial, de toutes les revendications coloniales, basé sur la stricte observation du principe que, dans le règlement de ces questions de souveraineté, les intérêts des populations en jeu pèseront d’un même poids que les revendications équitables du gouvernement dont le titre sera à définir.

                6. Évacuation du territoire russe tout entier et règlement de toutes questions concernant la Russie qui assure la meilleure et la plus libre coopération de toutes les nations du monde, en vue de donner à la Russie toute latitude, sans entrave ni obstacle, de décider, en pleine indépendance, de son propre développement politique et de son organisation nationale […].

                7. Il faut que la Belgique, tout le monde en conviendra, soit évacuée et restaurée, sans aucune tentative pour restreindre la souveraineté dont elle jouit au même titre que toutes les autres nations libres. Aucun autre acte isolé ne saurait servir autant que celui-ci à rendre aux nations leur confiance dans les lois qu’elles ont elles-mêmes établies et fixées, pour régir leurs relations réciproques. Sans cet acte réparateur, toute l’armature du droit international et toute sa valeur seraient ébranlées à jamais.

                8. Le territoire français tout entier devra être libéré et les régions envahies devront être restaurées ; le préjudice causé à la France par la Prusse en 1871 en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, préjudice qui a troublé la paix du monde durant près de cinquante ans, devra être réparé afin que la paix puisse de nouveau être assurée dans l’intérêt de tous.

                9. Une rectification des frontières italiennes devra être opérée conformément aux données clairement perceptibles  du principe des nationalités.

                10. Aux peuples de l’Autriche-Hongrie dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place parmi les nations, devra être accordé au plus tôt la possibilité d’un développement autonome.

                11. La Roumanie, la Serbie, le Monténégro devront être évacués ; les territoires occupés devront être restaurés ; à la Serbie devra être assuré un libre accès à la mer ; les rapports des États balkaniques entre eux devront être déterminés par un échange amical de vues basé sur des données d’attaches traditionnelles et nationales historiquement établies ; des garanties internationales d’indépendance politique, économique et d’intégrité territoriale seront fournies à ces États.

                12. Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devront être garanties la souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque, on devra garantir une sécurité absolue d’existence et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome, sans être aucunement molestées ; quant aux Dardanelles, elles devront rester ouvertes comme un passage libre pour les navires et le commerce de toutes les nations sous la protection de garanties internationales.

                13. Un État polonais indépendant devra être créé, qui comprendra les territoires habités par des populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devra assurer un libre accès à la mer ; leur indépendance politique et économique aussi bien que leur intégrité territoriale devront être garanties par un accord international.

                14. Il faut qu’une société des nations soit constituée en vertu de conventions formelles ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États. 

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