L’historien peut diagnostiquer à coup sûr ce qui va se produire, puisque c’est arrivé. Il est donc tenté par « l’illusion rétrospective de la fatalité » (Raymond Aron). L’idée d’une guerre de trente ans en est un bel exemple : 1939 serait la conséquence logique de 1919, et le traité de Versailles aurait rendu inévitable une revanche allemande, comme si la crise économique et Hitler n’étaient pour rien dans la Seconde Guerre mondiale. Pour apprécier les traités de 1919-1920, mieux vaut les replacer dans leur contexte. Les « Quatre Grands », qui ont pris l’essentiel des décisions, étaient contraints par la situation. Les trois alliés –  Clemenceau, obsédé par la sécurité future du pays ; le Britannique Lloyd George, aux opinions changeantes, soucieux de l’équilibre des puissances outre-Manche ; Orlando, porteur insatisfait des revendications territoriales italiennes – devaient compter avec l’indépendance jalouse de leur associé américain, Wilson, qui voulait avant tout soumettre les relations internationales à la justice et à la morale.

Les Alliés subissaient une forte pression de leurs opinions publiques. Depuis 1917, les populations épuisées et les soldats, écœurés par tant de massacres inutiles, n’avaient qu’un cri : « Plus jamais ça ! » Et la question montait : « Pourquoi continuer cette guerre sans fin ? Quels buts les gouvernements poursuivent-ils ? » Leur refus de les formuler publiquement ébranlait leur légitimité. L’immense popularité de Wilson tenait à ce qu’il les proclamait, et plus encore à ce qu’ils étaient. Ses Quatorze Points (janvier 1918) indiquaient les voies d’une paix durable : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une paix sans annexions ni indemnités, la fin de la diplomatie secrète et la création d’une Ligue des nations pour garantir l’indépendance politique et l’intégrité territoriale de tous les États (voir ci-dessous).

Or c’est à Wilson, et non à Foch, Clemenceau ou Lloyd George, que les Allemands ont écrit le 3 octobre 1918, et pas pour demander un armistice : pour accepter des négociations de paix sur la base des Quatorze Points. Wilson, en accord avec les alliés,

Vous avez aimé ? Partagez-le !