Depuis la crise de 2008-2009, Karl Marx fait à nouveau la une des journaux économiques. C’est la seule bonne et grande nouvelle de cette décennie. Signe peut-être que déni et ignorance aliénatrice ont fait leur temps ?

 

Vous cherchez à comprendre pourquoi une grande compagnie cotée au CAC 40 décide, sans argument défendable, de fermer une usine qui fait vivre 10 000 habitants, alors que ses profits multinationaux se chiffrent en milliards d’euros ?

 

Vous essayez de donner sens au babillage répétitif d’économistes (selon feu Bernard Maris, tous charlatans !) qui assurent que le marché régule l’économie malgré les crises répétitives, alors que l’histoire même du capitalisme nous démontre que c’est l’État qui, à chaque fois, est pressé par ce même capital d’intervenir pour remettre ledit marché sur ses pieds (sauvons les banques !) ?

 

Vous vous demandez pourquoi, malgré les dernières quarante-cinq années de dérégulation, quasiment toutes les décisions politiques, sociales, législatives restent fondamentalement ancrées dans les préoccupations du capital, de leurs lobbies, de bénéficiaires cachés ?

 

Vous trouverez toutes les réponses fondamentales à ces questions dans Marx. Un génie au sujet duquel Raymond Aron a écrit : « Une qualité de l’œuvre de Marx, c’est qu’elle peut être expliquée en cinq minutes, en cinq heures, en cinq ans ou en un demi-siècle. Elle se prête, en effet, à la simplification du résumé en une demi-heure, ce qui permet éventuellement à celui qui ne connaît rien à l’histoire du marxisme d’écouter avec ironie celui qui a consacré sa vie à l’étudier. »

 

Tout ce qu’il y a à comprendre aujourd’hui dans nos nombreuses contradictions, dans les politiques menées des deux côtés de l’Atlantique, dans les guerres actuelles (du Congo à l’Irak), dans les amalgames absurdes et mortels (islam, terroristes, migrants), dans l’exacerbation des tensions à l’intérieur même des grandes métropoles occidentales (de Ferguson à Adama Traoré), se retrouve dans les analyses de Marx. Le Marx philosophe, journaliste, poète, économiste, humaniste et militant. Celui dont, à 19 ans, ses professeurs disaient : « En ce jeune Karl Marx, vous avez Voltaire, ­Rousseau, Diderot, Hegel en un. »

 

Il expliquera plus tard comment les idées dominantes dans une société donnée sont les idées de la classe exploitante privilégiée et les idées de cette classe privilégiée donnent la façon de penser de la société tout entière. Énoncé ainsi, cela semble être une évidence. Mais en tirons-nous vraiment les conséquences ?

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous pouvons encore trouver les ressources de nous en sortir où que nous soyons dans la chaîne alimentaire. Car l’Occident a cessé d’être le modèle prévalant envers et contre tout.

 

Certains parlent de décadence, de fin de grands cycles, ou déclarent, ô stupeur, que l’hypothèse d’une détérioration continue des perspectives mondiales trouve de plus en plus de vraisemblances. Qui donc a pu écrire : « La menace d’une dérive vers des situations de chaos et de conflits d’une violence sans précédent doit désormais rester présente à nos esprits si nous voulons avoir quelques chances d’en exorciser le risque ou, le jour venu, d’y faire face avec les ressources matérielles et morales nécessaires » ? Non point le marxiste apocalyptique qu’on pourrait supposer, mais Michel Camdessus, ancien directeur du FMI.

 

Comme l’a écrit Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie, vice-président de la Banque mondiale : « Il est hors de doute qu’une certaine souffrance était inévitable, mais, à mon sens, celle qu’ont subie les pays en développement dans le processus de mondialisation tel qu’il a été dirigé par le FMI et par d’autres institutions économiques internationales a été de loin supérieure au nécessaire. […] On prétend aider des pays en développement alors qu’on les force à ouvrir leurs marchés aux produits des pays industriels avancés, qui eux-mêmes continuent à protéger leurs propres marchés. Ces politiques sont de nature à rendre les pays riches encore plus riches et les pays pauvres encore plus pauvres – et plus furieux. »

 

Il nous reste donc « l’obligation morale d’être intelligent », comme l’a écrit un éducateur américain, John Erskine, en 1915. Bon, je dis « nous », je m’avance un peu… Car je ne suis pas sûr qu’en tant que citoyen haïtien vivant aujourd’hui en France (« même pas français » donc), je puisse être vraiment audible. Ni qu’une France intellectuellement paresseuse ait envie de m’entendre. Ce sont pourtant des Français qui m’ont nommé président de la Fémis – en charge de veiller à l’avenir de leur cinéma. Moi qui n’ai toujours pas le droit de vote dans ce pays où je réside depuis tant d’années.

 

La seule bonne nouvelle dans tout cela, finalement, c’est que des jeunes s’intéressent à nouveau à connaître leur histoire, qu’ils cherchent à se réapproprier les instruments d’analyse et à lutter contre cette ignorance aveugle et planétaire qui envahit tout. James Baldwin et Karl Marx ont donc rempli leur tâche, eux, de manière magistrale et radicale. 

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