Marx dans le texte
Incisif, parfois polémiste, Marx a l’art de la formule qui frappe. On en jugera par les extraits que nous publions ici dans lesquels l’auteur du Capital traite, entre autres, du rôle de la bourgeoisie, de l’émergence de la mondialisation, du colonialisme et de la misère religieuse. Isabelle Garo, professeur de philosophie et présidente de la Grande Édition des œuvres de Marx et d’Engels en français (GEME), a choisi et introduit ces textes.Temps de lecture : 16 minutes
La bourgeoisie bouscule le globe
Le Manifeste, rédigé à la veille de la révolution de 1848 a été commandé à Marx par la Ligue des communistes. Il y présente sa conception matérialiste de l’histoire, centrée sur les luttes de classes, en soulignant ici l’ambivalence du rôle historique de la bourgeoisie. La traduction a été assurée par sa fille Laura, épouse de Paul Lafargue, lui-même militant socialiste. La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire.
La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, que le dur argent comptant. Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité petit-bourgeois, dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation, voilée par des illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, directe, brutale et éhontée.
La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions jusqu’alors réputée vénérables, et vénérées. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des travaux salariés.
La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent.
La bourgeoisie a démontré comment la brutale manifestation de la force au Moyen Âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la plus crasse paresse. C’est elle qui, la première, a prouvé ce que peut accomplir l’activité humaine : elle a créé bien d’autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a conduit bien d’autres expéditions que les antiques migrations de peuples et les croisades.
La bourgeoisie n’existe qu’à la condition de révolutionner sans cesse les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production, ce qui veut dire tous les rapports sociaux. La conservation de l’ancien mode de production était, au contraire, la première condition d’existence de toutes les classes industrielles antérieures. Ce bouleversement continuel des modes de production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles, distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux traditionnels et figés, avec leur cortège de croyances et d’idées admises et vénérables, se dissolvent ; celles qui les remplacent deviennent surannées avant de se cristalliser. Tout ce qui était solide et stable est ébranlé, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, d’envisager leurs conditions d’existence et leurs relations réciproques avec des yeux dégrisés.
Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut pénétrer partout, s’établir partout, créer partout des moyens de communication.
Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production de tous les pays. Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales sont détruites, ou sur le point de l’être. Elles sont supplantées par de nouvelles industries dont l’introduction devient une question vitale pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus éloignées, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans tous les coins du globe.
À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des nouveaux besoins, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées les plus lointaines et des climats les plus divers. À la place de l’ancien isolement des nations se suffisant à elles-mêmes, se développe un trafic universel, une interdépendance des nations. Et ce qui est vrai pour la production matérielle s’applique à la production intellectuelle. Les productions intellectuelles d’une nation deviennent la propriété commune de toutes. L’étroitesse et l’exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles ; des nombreuses littératures nationales et locales se forme une littérature universelle.
Par le rapide développement des instruments de production et des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et fait capituler les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode de production bourgeois. En un mot, elle modèle le monde à son image.
Le Manifeste du parti communiste (1847), trad. Laura Lafargue, éd. Giard et Brières, 1897
L’opium du peuple
Dans ce texte de jeunesse, célèbre mais souvent lu à contresens, Marx considère que la religion ne doit plus être la cible principale de la critique. N’étant qu’une expression de la « détresse réelle », c’est la critique politique du monde qui engendre cette protestation vaine qui importe.
Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme ce n’est pas une essence abstraite, blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre le monde, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle, et, pour une autre part, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. C’est l’opium du peuple.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. […]
C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non-sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction (1843-1844), trad. Albert Baraquin, Éditions sociales, 1975
De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins
Marx rédige ces notes critiques à l’occasion de l’unification du mouvement socialiste allemand. Selon lui, le dépassement du travail aliéné doit conduire à sa redéfinition comme activité émancipatrice. D’autre part, une réforme de la répartition des richesses implique la refonte radicale du mode de production tout entier.
Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital ; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » […]
À toute époque, la répartition des objets de consommation n’est que la conséquence de la manière dont sont distribuées les conditions de la production elles-mêmes. Mais cette distribution est un caractère du mode de production lui-même. Le mode de production capitaliste, par exemple, consiste en ceci que les conditions matérielles de production sont attribuées aux non-travailleurs sous forme de propriété capitaliste et de propriété foncière, tandis que la masse ne possède que les conditions personnelles de production : la force de travail. Si les éléments de la production sont distribués de la sorte, la répartition actuelle des objets de consommation s’ensuit d’elle-même. Que les conditions matérielles de la production soient la propriété collective des travailleurs eux-mêmes, une répartition des objets de consommation différente de celle d’aujourd’hui s’ensuivra pareillement.
Critique du programme de Gotha (1875), trad. Jean-Numa Ducange et Sonia Dayan-Herzbrun, Éditions sociales – GEME, 2008
La gloire cynique des nations
Dans cette traduction du Capital en français, que Marx a supervisée, on trouve nombre de textes dénonçant les horreurs du colonialisme et les conditions de l’« accumulation primitive », véritable acte de naissance du capitalisme industriel. Ce texte est absent des autres éditions de l’œuvre.
Avec le développement de la production capitaliste pendant la période manufacturière, l’opinion publique européenne avait dépouillé son dernier lambeau de conscience et de pudeur. Chaque nation se faisait une gloire cynique de toute infamie propre à accélérer l’accumulation du capital. Qu’on lise, par exemple, les naïves Annales du Commerce, de l’honnête A. Anderson. Ce brave homme admire comme un trait de génie de la politique anglaise que, lors de la paix d’Utrecht, l’Angleterre ait arraché à l’Espagne, par le traité d’Asiento, le privilège de faire, entre l’Afrique et l’Amérique espagnole, la traite des Nègres qu’elle n’avait faite jusque-là qu’entre l’Afrique et ses possessions de l’Inde orientale. […] Dans le même temps que l’industrie cotonnière introduisait en Angleterre l’esclavage des enfants, aux États-Unis elle transformait le traitement plus ou moins patriarcal des Noirs en un système d’exploitation mercantile. En somme, il fallait pour piédestal à l’esclavage dissimulé des salariés en Europe, l’esclavage sans phrase dans le nouveau monde.
Tantæ molis erat ! * Voilà de quel prix nous avons payé nos conquêtes ; voilà ce qu’il en a coûté pour dégager les « lois éternelles et naturelles » de la production capitaliste, pour consommer le divorce du travailleur d’avec les conditions du travail, pour transformer celles-ci en capital, et la masse du peuple en salariés, en pauvres industrieux (labouring poor), chef-d’œuvre de l’art, création sublime de l’histoire moderne. Si, d’après Augier, c’est « avec des taches naturelles de sang, sur une de ses faces » que « l’argent est venu au monde », le capital y arrive suant le sang et la boue par tous les pores.
* Tant c’était difficile (sous-entendu : de fonder l’Empire romain).
Le Capital (1re édition française), liv. I, chap. 31, éditions Maurice Lachâtre, trad. Jules Roy, révisée par l’auteur, 1872
Aux sources du prolétariat
Ce texte de jeunesse est le premier où Marx énonce le rôle historique et émancipateur du prolétariat, et cela avant même de rencontrer à Paris la classe ouvrière en chair et en os, dans le cadre du mouvement ouvrier naissant auquel il va ensuite activement participer.
Cette dissolution de la société réalisée dans un état social particulier, c’est le prolétariat.
Le prolétariat commence seulement à se former en Allemagne grâce aux débuts du développement industriel, car ce n’est pas la pauvreté résultant de facteurs naturels mais la pauvreté artificiellement produite, ce n’est pas l’écrasement des états sociaux provoqué mécaniquement par le poids de la société, mais la masse humaine provenant de la dissolution brutale de celle-ci, et, en premier lieu, de la dissolution des couches moyennes, qui forme le prolétariat, bien que peu à peu, comme il va de soi, les pauvres naturellement pauvres et les serfs de la société germano-chrétienne rejoignent également ses rangs.
En annonçant la dissolution de l’ordre antérieur du monde, le prolétariat ne fait qu’énoncer le secret de sa propre existence, car il est la dissolution de fait de cet ordre. En réclamant la négation de la propriété privée, le prolétariat ne fait qu’élever en principe de la société ce que la société a posé en principe pour lui, ce qu’il personnifie, sans qu’il y soit pour quelque chose, puisqu’il est le résultat négatif de la société.
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction (1843-1844), trad. Albert Baraquin, Éditions sociales, 1975
Le royaume de la liberté
Les luttes pour la réduction du temps de travail et en vue de l’organisation collective de la production se présentent comme des priorités. Cette question du temps libre, que Marx développe par ailleurs, est centrale : elle conditionne le plein développement des capacités individuelles, but ultime et critère d’une société véritablement communiste.
En fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur ; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire et de le faire quels que soient la structure de société et le mode de production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle, parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés, règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail.
Le Capital (1867), liv. III, chap. 48, trad. Catherine Cohen-Solal et Gilbert Badia, Éditions sociales, 1977
Après la tragédie, la farce
Ce texte écrit à chaud analyse la situation française au moment du coup d’État de 1851. Marx s’arrête ici sur les idées et les représentations qui sont indissociables de toute action historique de grande ampleur. Leur fonction politique est bien réelle, même lorsque les individus se leurrent sur leur propre rôle et endossent des costumes anachroniques.
Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques surgissent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l’oncle. Et même caricature dans les circonstances où paraît la deuxième édition du 18 Brumaire !
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur propre mouvement, ni dans des conditions choisies par eux, mais bien dans les conditions qu’ils trouvent directement et qui leur sont données et transmises. La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils appellent craintivement les esprits du passé à leur rescousse, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour jouer une nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage d’emprunt. C’est ainsi que Luther prit le masque de l’apôtre Paul, que la Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain, et que la révolution de 1848 ne sut rien faire de mieux que de parodier tantôt 1789, tantôt la tradition révolutionnaire de 1793 à 1795. C’est ainsi que le débutant, qui a appris une nouvelle langue la retraduit toujours dans sa langue maternelle, mais il ne se sera approprié l’esprit de cette nouvelle langue et il ne sera en mesure de s’en servir pour créer librement que lorsqu’il saura se mouvoir dans celle-ci sans réminiscence, en oubliant en elle sa langue d’origine.
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1851), trad. Gérard Cornillet, Éditions sociales, 1984
Exproprier les expropriateurs
Première expérience post-capitaliste, en dépit de sa brièveté, la Commune de Paris renvoie à Marx la perspective enfin concrète du communisme, la « forme politique enfin trouvée » de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes.
C’est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l’immense littérature des soixante dernières années sur l’émancipation des travailleurs, les ouvriers n’ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n’est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d’innocence virginale, sans qu’aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu’aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu’ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s’exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l’expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd’hui essentiellement moyens d’asservissement et d’exploitation du travail, en simples instruments d’un travail libre et associé. Mais c’est du communisme, c’est l’« impossible» communisme ! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l’impossibilité de perpétuer le système actuel – et ils sont nombreux – sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie ; si elle doit évincer le système capitaliste ; si l’ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?
La classe ouvrière n’espérait pas des miracles de la Commune. Elle n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d’être digne d’elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d’ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d’oracle de l’infaillibilité scientifique.
La Guerre civile en France (1871), 3e partie, Éditions sociales, 1953
« La force de son œuvre est son inachèvement »
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[Barbe]
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Le paradoxe, c’est que ce qui semble aujourd’hui le plus vieillot chez Marx, c’est tout ce qui longtemps releva du « moderne ». La march…