Le « Grand Débat national », voulu et annoncé par Emmanuel Macron dans sa Lettre aux Français, est une expérience démocratique à bien des égards sans équivalent dans l’histoire de notre République. Ce moment restera-t-il comme un point de bascule vers une nouvelle ère démocratique, permettant à tout un peuple de dialoguer sans filtre et en ligne directe avec son président ? Signera-t-il la mise au rebut du politique et de ses arcanes sinueux pour laisser place à la froide rationalité des intelligences artificielles, seules capables de synthétiser impartialement l’expression foisonnante de la multitude ?

L’aboutissement de ce Grand Débat consistant, au-delà de la synthèse, à annoncer des perspectives et à mettre en œuvre des réformes, montre au contraire combien aujourd’hui l’exercice reste totalement politique. Les dispositifs mis en œuvre à la fois pour permettre les débats et pour analyser les contributions sont tous traversés d’intentions et d’hypothèses, parfois implicites, qui ont des conséquences sur le type de messages auxquels ils permettent d’aboutir. En aucun cas le président et son gouvernement ne pourront se retrancher derrière l’évidence de la parole populaire, comme si elle s’était exprimée de façon explicite et comme si ce qui reste à faire en découlait mécaniquement. Les actions qui découleront de ces conclusions resteront en cela hautement discutables, et donc politiques.

À l’origine, le président souhaitait réinterroger la destinée collective du pays : « Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre avenir » (Lettre aux Français, 13 janvier 2019). Constatant l’état de faiblesse des institutions démocratiques et la remise en cause de leur légitimité par une partie au moins de la population française, Emmanuel Macron voulait également répondre à une aspiration croissante d’accéder à des formes d’expression directe : puisque les technologies numériques, et notamment les réseaux sociaux, me permettent aujourd’hui de communiquer au monde entier mon opinion instantanément et apparemment sans filtre, pourquoi les processus démocratiques m’imposent-ils une représentation qui ne reprend pas mot pour mot mon expression ? Sont ainsi écartés du processus les instruments les mieux établis. Ce ne seront pas les élections – moment en principe privilégié d’explicitation des possibles destinées locales et nationales, entre lesquelles les électeurs arbitrent par leur vote. Ce ne seront pas non plus les assemblées représentatives, qu’elles soient élues – Assemblée nationale et Sénat – ou non – le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce ne seront pas davantage les sondages d’opinion, technique classique en France depuis que le président de la République est élu au suffrage universel. Pour de nouveau « se poser ensemble » ces « grandes questions », la procédure retenue ambitionne de donner à chacun la possibilité de prendre la parole, c

Vous avez aimé ? Partagez-le !