Le succès rencontré par le Grand Débat national témoigne de l’aspiration des Français à participer davantage et autrement à la vie politique. Bien que nos institutions aient été conçues pour assurer cette participation et refléter la pluralité sociale, bien que nos concitoyens élisent leurs maires, leurs présidents de région, leurs députés nationaux et européens et bien qu’ils puissent même recevoir un tweet du président de la République ou de l’un de ses ministres, ils n’en ont pas moins le sentiment qu’ils ne prennent aucune part aux décisions politiques, et surtout que leur voix n’est pas entendue. 

Ce paradoxe n’est ni nouveau ni propre à notre pays, même si un ensemble d’éléments le rend aujourd’hui particulièrement aigu. Le gouvernement actuel est en effet perçu comme concentré et vertical, pressé d’appliquer un programme de réformes. Les maires, les acteurs locaux, les associations et les syndicats ont été fort peu impliqués dans la conception de ces mesures alors qu’ils sont les relais naturels des préoccupations des citoyens. Enfin, le Parlement, qui représente tous les électeurs, et pas seulement ceux du parti majoritaire, semble privé d’influence. S’ajoute à cela ce trait propre à la société française, à savoir que le personnel politique n’en reflète pas la diversité. Ses membres, recrutés parmi les anciens élèves de quelques grandes écoles et issus le plus souvent de la haute fonction publique, incarnent une « élite » de gouvernement, perçue comme étant coupée du peuple.

La question est donc sur la table. Comment organiser la participation politique ? Si l’on veut que les citoyens aient la conviction qu’ils peuvent témoigner de leurs conditions d’existence, l’organisation de consultations régulières, une représentation en partie proportionnelle et davantage de possibilités d’intervention laissées à l’opposition parlementaire peuvent être des mesures salutaires. Mais cela ne suffit pas. Car le Grand Débat a montré que les Français ne veulent pas seulement donner leur avis, ils souhaitent aussi s’engager dans une discussion et proposer des solutions. Toux ceux qui ont participé aux réunions locales et régionales ont cherché à s’informer sur les faits et les chiffres en matière de fiscalité et de dépenses publiques, et à soumettre à la critique leurs idées et même leurs rêves. Ce débat n’a pas été le « grand défouloir » à la suite duquel chacun retourne vaquer à ses affaires, mais un exercice collectif d’esprit critique et de délibération commune, en dépit du fait que prospèrent au même moment complotisme et désinformation. Les centaines de milliers de participants ont de ce fait refusé le clivage entre peuple et élite politique. Cela vaut aussi pour le mouvement des Gilets jaunes, surtout ceux des ronds-points, dont la revendication initiale traduisait l’aspiration à voir advenir une élite décisionnelle mieux informée, plus proche d’eux, et donc élargie.

La crise majeure qui a secoué la France pendant plusieurs mois est donc un signal d’alerte. Nos sociétés sont guettées par des formes d’anomie de plus en plus répandues. La participation politique des citoyens est sans doute le meilleur moyen d’y remédier. Car la conviction que son point de vue est écouté, même s’il n’est pas suivi, conduit à se rallier aux décisions prises. Les conclusions tirées du Grand Débat seront-elles à la hauteur de ces attentes ? Le fait que des questions aussi décisives que l’arbitrage entre sécurité et liberté, la lutte contre la misère et la justice scolaire n’aient pas été incluses dans les thèmes proposés au débat laisse penser que l’enjeu n’a pas été vraiment compris. Et pourtant, celui-ci est considérable, car un peuple de citoyens engagés est le meilleur antidote contre toutes les formes de populisme. 

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