Deux des quatre membres du collectif Piment, qui entend déconstruire les discours sur le racisme, ont accepté de prolonger pour le 1 leur entreprise de définition amorcée en 2020 dans leur livre Le Dérangeur : petit lexique en voie de décolonisation (éditions Hors d'atteinte).

« Définir c’est proposer une vision du monde. » Nous l’écrivions dans la préface de notre ouvrage Le Dérangeur : petit lexique en voie de décolonisation, un projet expérimental né d’un besoin urgent de nous saisir de notre condition en la redéfinissant à partir de nos marges. Dans une certaine mesure, Globalisto [ exposition réunissant 19 artistes au musée d'Art moderne et contemporain de Saint-Étienne, du 25 juin au 16 octobre] est une invitation similaire : réimaginer le monde à travers des œuvres d’artistes de la diaspora africaine, à la fois mobiles et ancrés sur plusieurs terres. En restant fidèles à notre démarche, nous avons pensé à de nouveaux mots historiques, poétiques, critiques, entrant en résonance avec les œuvres de plusieurs artistes participant à cette réflexion transnationale.

DIASPORIQUE : Lubaina Himid, There Could Be an Endless Ocean, 2016

« Le diasporique est un acte de volonté et de mémoire. »

C’est en ces termes que John Akomfrah, le fondateur du collectif de cinéastes afro-britanniques The Black Audio Film Collective, décrit son langage cinématographique. Engagés dans une remémoration presque obsessionnelle de moments et de figures clés de l’histoire des diasporas africaines, les films produits par ce collectif actif entre 1982 et 1998 sont les meilleures représentations visuelles de tout ce que le diasporique doit être. Une collaboration intercontinentale et intergénérationnelle, en mouvement entre le présent et le futur, qui accorde autant de valeur aux archives existantes qu’à celles qui sont en cours d’écriture. Le diasporique maintient les connexions de la diaspora, malgré le trauma, par la mémoire, la citation et, surtout, la création.

FRONTIÈRES : Otobong Nkanga, Kolanut Tales – Dismembered, 2010

Comme l’océan Atlantique, la mer Méditerranée abrite d’immenses fosses communes où s’entassent des Africains. Ils trouvent la mort en tentant de rejoindre l’Europe. Alors que l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme préconise la libre circulation des personnes, les frontières européennes sont organisées et gérées pour contrôler et limiter l’accès à leurs territoires. E. Tendayi Achiume, chercheuse au Centre africain de recherche sur les migrations de l’université de Witwatersrand, considère que la fonction essentielle des frontières est de discriminer, de distinguer et de trier les personnes qui peuvent les franchir de celles qui ne le peuvent pas. En France, le même procédé régit des frontières qui ne se définissent pas comme telles : les frontières intérieures. Des boulevards périphériques séparant les banlieues des « grandes villes », en passant par les quartiers populaires dont les limites et les habitants sont déplacés par la violence des phénomènes de gentrification, la gestion des frontières intérieures et extérieures est un continuum produisant des déracinés. Face aux frontières, l’histoire des personnes marginalisées est un éternel recommencement.

Tant que la plantation n’est pas démantelée, la lutte sera toujours à la porte du refuge

QUILOMBO* : anonyme, Chasseur au fusil, XIXe siècle

Zumbi, Harriet, Nanny. Des noms qui évoquent des sentiments similaires à travers le Brésil, les États-Unis ou la Jamaïque. Combattants anti-esclavagistes, leaders de la libération, abolitionnistes. Comment des actions si semblables peuvent-elles arriver sur des territoires si lointains ? Comment attribuer à quelques individus un sentiment partagé par tous ceux qui se sont battus et par ceux qui n’ont pas eu le courage de le faire ? L’histoire préfère les hommes et les femmes seuls qu’on peut canoniser. Pourtant, ils n’ont pas plus d’importance que les esclaves anonymes qu’ils ont libérés, la perspective de communauté qui les a animés, les lieux de résistance qui en sont nés.

Quilombo, Underground Railroad, Nanny Town. Des villages d’esclaves en fuite, communément appelés marrons, au Brésil, en Jamaïque, à la Guadeloupe. Des réseaux souterrains pour fuir les plantations du sud des États-Unis. Des lieux pour résister, stratégiser, vivre, renaître, faire communauté, penser le futur loin de la violence et de la surveillance constante de l’oppresseur. La communauté marronne du Quilombo était un aperçu du nouveau monde, un rêve matérialisé, le futurisme noir avant l’afrofuturisme, un réconfort à court terme. Tant que la plantation n’est pas démantelée, la lutte sera toujours à la porte du refuge.

Le Quilombo est toujours dans la plantation. Le Quilombo est toujours dans la plantation.

FUTUR : Samson Kambalu, History Without a Past, 2020

Pour les populations esclavisées, rêver de liberté relevait certainement de la science-fiction. Se représenter en personne et en peuple libres exigeait de repousser les limites du monde connu et d’en imaginer un nouveau, une mécanique que l’autrice et activiste Adrienne Maree Brown appelle « les imaginations radicales » dans Pleasure Activism (AK Press, 2019). Elle les décrit comme de puissants outils de décolonisation pour réclamer le droit des Noirs à façonner leurs réalités et leurs futurs. Ainsi, pour nous descendants des personnes esclavisées, le futur est ici et maintenant, car il n’y a pas de meilleur moment pour être en vie qu’aujourd’hui.  

 

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