Dans la vie de Gerard Sekoto, la créativité a toujours eu une place particulière. Enfant, il prenait plaisir à l’explorer naturellement en fabriquant ses propres jouets, comme la plupart des enfants africains à cette époque. À l’école, quand il fallait dessiner pour illustrer une leçon, c’est lui que l’on envoyait au tableau. Lorsqu’au cours de leurs études, son ami Ernest Mancoba, un des pionniers de l’art moderne sud-africain, lui parla de Paris et de sa vie de bohème, Gerard Sekoto eut envie d’y goûter.

Quand il quitte l’Afrique du Sud en 1947, l’apartheid n’a pas encore été voté. Son exil n’est donc pas politique, mais bien guidé par la créativité. Il a conscience que l’art africain classique inspire de grands artistes européens, comme Picasso. Il pense trouver sa place à Paris, qui se présente alors comme le centre international de l’art.

Sa vie dans la capitale française s’avère en réalité très difficile. Gerard Sekoto ne parle pas la langue. La nuit, il joue du piano dans un bar où il est payé en nourriture et en alcool. Dans l’hôtel où il vit, le règlement lui interdit de peindre. Le peu d’argent qu’il possède sert à régler ses séances de dessin sur modèle vivant à l’Académie de la Grande-Chaumière. Ses premières expositions, en 1949, passent relativement inaperçues. Le fait d’être ignoré du milieu artistique français alors qu’il s’était déjà fait un nom en Afrique du Sud le plonge dans la dépression. Il se noie dans l’alcool et finit par être interné à Saint-Anne pendant deux mois.

On ne peut pas dire que la peinture de Gerard Sekoto se soit radicalement transformée après son arrivée à Paris. Il a toujours eu pour souci de préserver son authenticité et son identité d’artiste. Portraitiste et peintre du mouvement réaliste social sud-africain, chez lui, il peignait son environnement, à savoir la vie des Noirs dans les townships. Il donnait à voir un milieu que les Blancs ne connaissaient pas. À Paris, il se replie sur sa mémoire, sur ses souvenirs. Il peindra bien des scènes parisiennes, mais l’essentiel de son travail s’inspire de l’Afrique du Sud.

Le vrai tournant, à mes yeux, a lieu en 1966. Gerard Sekoto ne retourne en Afrique qu’une seule fois pour participer au premier Festival mondial des arts nègres à Dakar. Il reste quelques mois en Casamance, ce qui changera profondément sa peinture. Dans ses tableaux, des faisceaux lumineux apparaissent. Il développe cet effet de lumière avec ses peintures de danseuses sénégalaises que l’on retrouvera ensuite dans ses scènes de rue sud-africaines imaginaires et ses scènes parisiennes, avec notamment View Along the Seine, Paris (1970) Man in the Street (1973) ou encore Woman Walking with Dog (1974).

J’ai eu la chance de connaître Gerard Sekoto au cours des dix dernières années de sa vie. J’avais 12 ans lors de notre première rencontre. À cette époque, on l’expulsait de son appartement. Je me suis rendu compte plus tard qu’il avait été largement exclu des canons de la Nouvelle École de Paris. Gerard Sekoto gagne pourtant à être connu. À travers sa vision personnelle, il a donné une visibilité au corps noir dans un genre qui n’était pas exotisant. J’encourage les institutions françaises à s’intéresser à l’histoire de cet artiste sud-africain et parisien, encore trop ignoré. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

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