Que sera la France dans deux mille ans ? Eût-on demandé à Alexandre franchissant l’Hydaspe, dans le Pakistan moderne : « Que sera ta Grèce dans deux mille ans ? », il eût répondu : « Le monde. » À tort ? La Grèce nous lègue la philosophie, les sciences, la médecine, la démocratie. Homère et Eschyle en prime. Pas mal. C’est un petit pays, méprisé par d’autres au nom de l’argent (par l’Allemagne, par exemple). Et pourtant… Nous avons tant de dettes vis-à-vis de la Grèce endettée…

Quelles dettes auront les humains envers la France, dans mille ou deux mille ans ?

« Ainsi vous écrivez un livre sur la France ? – Oui. – Ah… et sous quel angle ? Le déclin ? L’avenir ? L’universalité ? Le messianisme ? La cuisine ? Les filles ? »

C’est vrai, il faut un angle… Alors, disons que je me pose moi aussi des questions de dettes et de créances. Une manière de dresser un bilan, actif, passif, mais surtout de redonner au mot dette tout son sens, celui de faute, de culpabilité. Un livre pour dire : non, Français, vous n’êtes pas coupables, vous ne devez rien ; le chômage, la catastrophe urbaine, le déclin de la langue, ce n’est pas vous ; le racisme, ce n’est pas vous, contrairement à ce qu’on veut vous faire croire. Vous n’êtes pas coupables. Retrouvez ce sourire qui fit l’envie des voyageurs pendant des siècles, au « pays où Dieu est heureux ». […]

Voilà la raison de ce livre : depuis peu, le french bashing me ravit, m’exalte ; je me sens bien. Je relève la tête et je souris ; et mes traits se durcissent, comme ces prisonniers giflés avant l’exécution. Tremblez, ennemis !

"Mais l’exécution n’est-elle pas promise ? La fin ? Tant de gens la souhaitent ! Je me sens comme Ulysse de retour dans son pays occupé par les prétendants. J’ai vu (un peu) le monde. J’ai négligé mon pays. Je l’ai négligé comme une évidence. Et j’ouvre les yeux sur ceux qui lui ravissent… ce que vous voulez. Son âme, sa beauté. Le salaud au sens de Sartre qui construit dans la Somme la « ferme des mille vaches » ; les salauds qui la conchient de bretelles, de ronds-points, de promotions immobilières, de supermarchés, de zones industrielles, d’immensités pavillonnaires parsemées de rues aux noms d’arbres, filles de tristesse d’architectes couverts par leurs maquereaux de promoteurs qui la bétonnent et la goudronnent ; les veules édiles qui laissent quelques rues occupées par des idiots en prière, à qui j’envoie les Dupont-Dupond de Tintin au pays de l’or noir pour leur botter le cul ; ceux qui lui arrachent ses vêtements, l’éducation, la connaissance, la langue, la République, la sociale, le peuple dans la ville, l’égalité, la ­laïcité, l’intelligence, le rire… Malgré tout, ils ne parviennent pas à masquer de leur burqa couleur d’argent cette « madonne », selon de Gaulle, cette « femme » pour Michelet. Disons que j’ai envie de démasquer les prétendants et de dire à ma Pénélope : « Attention, poupée, regarde ceux qui sont autour de toi et ce qu’ils veulent faire… »

Qu’est-ce que la France sans la grandeur ? Oui, ma douce, oui : mais qu’est-ce que la France sans la beauté ?"

 

Et si on aimait la France, Grasset, 2015, p. 12-13 et 26-27 © Éditions Grasset

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