Le ministère de la Culture est-il appelé à figurer sur la longue liste des victimes du Covid-19 ? À en croire le silence qui règne rue de Valois depuis le début de l’épidémie, on est tenté de le croire. Alors que le secteur culturel est au bord du gouffre, le ministère fait preuve d’une gestion atone des conséquences de la crise sanitaire. Goliath de l’économie française, la culture, qui représente 2,3 % du PIB avec un chiffre d’affaires de plus de 47 milliards d’euros, et emploie près de 630 000 personnes – plus que le secteur automobile –, est traitée par l’exécutif en David. Ignorée dans les arbitrages, à peine évoquée dans le discours d’Édouard Philippe sur le déconfinement, elle ne fait pour l’heure l’objet d’aucun plan de relance. Les rares interventions de Franck Riester dans les médias n’ont pas laissé un souvenir impérissable (euphémisme), le ministre semblant dépassé par la situation, sans idées ni vision d’avenir. Les acteurs du monde culturel ne comptent plus sur leur ministère pour les épauler. Ils ont compris que celui-ci est en perdition, son pouvoir lui échappant au profit d’autres lieux : le cabinet du président de la République à l’Élysée, ou Bercy, qui tient la culture pour part négligeable.

La faute n’en revient pas seulement à l’actuel locataire de la rue de Valois. Le ministère n’en finit pas de dépérir depuis deux décennies. Ministres transparents, si ce n’est incompétents, présidents indifférents à la question culturelle, budgets en stagnation : les causes structurelles de son déclin ne manquent pas. Les politiques publiques de la culture ont perdu la position centrale qu’elles détenaient dans les années 1980 et 1990. Les organismes et les établissements officiellement rattachés au ministère (musées nationaux, groupes de l’audiovisuel public, Centre national du cinéma…) se sont émancipés de sa tutelle, avec des budgets et des directions autonomes. Les collectivités territoriales (75 % du budget de l’action publique dans ce domaine) tentent de prendre le relais, mais elles manquent d’une vision d’ensemble, indispensable pour mettre en place une politique culturelle rénovée.

Cet affaiblissement est d’autant plus paradoxal que le confinement a révélé l’importance des biens culturels (séries et films, livres, jeux vidéo, visites virtuelles dans les musées…) dans le quotidien des Français. La culture est plus que jamais un outil d’émancipation individuelle et collective. Elle est une consolation et une évasion dans l’épreuve, et nourrit notre besoin d’histoires, de rêves, de réflexion dans un monde devenu illisible. Elle structure notre identité et notre rapport au monde ; elle nous relie les uns aux autres. Cette réalité n’est pas simplement théorique ou sensible. Elle est également économique et participe de notre souveraineté nationale et européenne. La crise sanitaire actuelle ne manquera pas de renforcer la bataille des industries culturelles au niveau mondial, dans un contexte de numérisation accélérée de la culture, et de concentration économique accrue.

Pour faire face à cette nouvelle donne, le monde de la culture s’organise déjà. Menacés dans leur existence même, industries culturelles, festivals, musées et artistes tentent d’inventer le monde d’après. Mais ils ne pourront le faire sans l’aide d’un ministère rénové, revitalisé, régénéré dans ses ambitions. Dans cette année blanche de la culture, qui pourrait bien être son « année zéro », la rue de Valois devrait se trouver au cœur de l’élaboration d’une stratégie culturelle visant à rassembler les acteurs éparpillés de cet univers et à préparer l’avenir. Pour l’heure, malgré l’urgence, on en est loin. 

 

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