Qu’est-ce qui distingue le greenwashing d’une véritable initiative écologique ?

Le greenwashing, dans le sens premier du terme, est une pratique d’enfumage qui consiste à donner une apparence écologique à un produit ou à une démarche qui ne l’est pas. Il peut aussi prendre la forme d’une stratégie de détournement de l’attention, comme c’est parfois le cas avec le mécénat d’entreprise. On met en avant un projet dont la démarche profite à l’environnement pour faire oublier des pratiques qui posent problème. Mais, dans notre livre, nous montrons que le greenwashing est en réalité beaucoup plus large. Ce concept recouvre n’importe quel dispositif – un produit, un mode de production ou même une politique publique, une réglementation, une incitation – qui ne va pas dans le sens d’une écologisation tout en prétendant le faire.

Pourriez-vous nous donner un exemple ?

Certains produits peuvent apparaître comme une réponse à la problématique écologique, mais, déployés dans un certain cadre, ils deviennent une source de greenwashing. C’est le cas, par exemple, de la voiture électrique. Il est évident que la décarbonation de la mobilité fait partie de la solution. Néanmoins, encourager le développement de la voiture électrique sans remettre en question le modèle du véhicule individuel, lourd (SUV) et gourmand en énergie, constitue un fait de greenwashing majeur. Non seulement une telle démarche ne produit pas l’impact écologique souhaité, mais elle peut en plus entraîner un effet rebond, c’est-à-dire une augmentation de la consommation à la fin du compte.

Quelles sont les véritables conséquences du greenwashing ?

Le greenwashing retarde la mise en œuvre d’une véritable réponse à la crise écologique globale. Il crée de l’inertie et, plus grave, empêche les bifurcations indispensables. Les scientifiques parlent de limites planétaires franchies, de seuils d’irréversibilité. Nous sommes en train de perdre une part des richesses du monde qui nous permettent de vivre de manière qualitative avec le vivant qui nous entoure. Dans ce contexte, le greenwashing est une pratique très grave. Il verrouille l’avenir, limite les possibilités d’un futur durable.

Peut-on en évaluer l’importance aujourd’hui ?

Il existe évidemment des démarches écoresponsables sincères, portées par des entreprises à l’attitude volontaire. À l’échelle globale, cependant, le résultat est très loin d’être satisfaisant. Depuis plusieurs années, le Corporate Climate Responsibility Monitor, un groupe composé d’observateurs indépendants, évalue la transparence et l’intégrité des affirmations de baisse des émissions carbone des multinationales, ainsi que leur cohérence avec les objectifs de neutralité carbone fixés à terme. Les résultats sont très mauvais. La plupart des entreprises ne sont absolument pas dans les clous par rapport à ce qu’elles prétendent faire et plus encore à ce qui devrait être leur trajectoire responsable.

Autre exemple : les labels garantissant une gestion durable des forêts. La cellule d’investigation de Radio France a révélé en mars dernier que du bois issu de la déforestation – donc de plantations ne garantissant pas, entre autres, le maintien de la diversité biologique et leur propre capacité de régénération – avait pu obtenir une certification de la part de ces labels. Cela prouve bien qu’il y a des trous dans la raquette.

Enfin, on peut citer les crédits carbone liés aux forêts – un système mis en place sous l’égide de l’ONU et censé permettre à de grandes entreprises de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en finançant la plantation ou la protection de forêts, essentiellement dans les milieux tropicaux. Une étude publiée le 24 août dernier dans Science a montré que cette politique d’action climatique d’envergure était essentiellement bidon : seuls 6 % des crédits carbone auraient un impact réel sur le climat, le reste n’étant pas mesurable, ou difficilement quantifiable, loin d’être assuré à long terme, voire franchement mensonger.

Le greenwashing est donc loin d’être un épiphénomène : il ne s’agit pas uniquement de petites stratégies de communication déployées autour de quelques produits afin d’enfumer le consommateur, c’est un véritable phénomène structurel.

Une industrie est-elle plus particulièrement touchée qu’une autre ?

Je pense évidemment au secteur des énergies fossiles, aux grandes compagnies pétrolières, gazières et de charbon, comme TotalEnergies et ExxonMobil pour l’Occident. Leur discours consiste à rassurer en expliquant qu’elles ont à présent orienté leur développement vers la transition énergétique et le développement des renouvelables. Or si l’on regarde en détail, la plupart de ces compagnies développent certes du renouvelable, mais continuent aussi à dessiner des plans prévisionnels d’extraction des énergies fossiles pour répondre à la demande, comme l’a encore dit récemment le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné. En soi, c’est une campagne de greenwashing géante qui consiste à prétendre être du côté de la solution alors même que l’on continue à amplifier le problème. Si ces nouveaux projets voient le jour et vont jusqu’au bout de leurs réserves, en termes d’émissions, on outrepasse très largement la trajectoire qu’il nous faut prendre pour respecter l’accord de Paris et stabiliser un climat viable sur cette planète. Le monde compte aujourd’hui 425 « bombes climatiques », déjà opérationnelles ou encore à l’état de projet, c’est-à-dire des sites d’extraction d’hydrocarbures susceptibles d’émettre plus d’un milliard de tonnes de CO2 chacun sur toute leur durée de vie. Parmi elles, 33 projets fossiles sont opérés ou financés par TotalEnergies, selon Greenpeace.

Que peut la loi ?

Si le greenwashing est possible, ce n’est pas par manque de lois ou de dispositifs de surveillance, mais bien parce que nos politiques publiques au sens large, dans le cadrage qu’elles donnent à l’ensemble de nos activités, ne sont pas assez orientées en réponse à la problématique écologique et manquent de cohérence. Reprenons l’exemple du véhicule électrique. Avez-vous déjà entendu le ministre des Transports ou le ministre de la Transition écologique encourager officiellement la transformation des usages de la voiture, en prônant par exemple le covoiturage, l’autopartage ou le développement des transports en commun ? Jamais, car la priorité reste avant tout de permettre un nouveau développement capitaliste pour le secteur automobile.

Comment échapper au greenwashing en tant que consommateur ?

Essayer d’échapper au greenwashing individuellement peut s’avérer très difficile. Il ne faut pas se rendre malade de tomber parfois dans le panneau. Chacun fait ce qu’il peut. Je pense qu’il faut prendre le problème en amont. L’ampleur des enjeux environnementaux de la crise écologique invite chacun d’entre nous à s’en saisir, à ne pas rester passif, c’est-à-dire à s’informer, à essayer de comprendre lucidement cet enjeu qui est extrêmement complexe. Cela demande un véritable effort intellectuel. Ensuite, il vaut mieux s’impliquer dans des collectifs, parce qu’une fois qu’on a vraiment compris l’ampleur du problème, on peut se sentir anéanti, submergé par un sentiment d’angoisse, d’impuissance. Il s’agit de s’affranchir autant que possible de certaines pratiques et de certains cadres dans une société qui construit structurellement du greenwashing parce qu’elle refuse de produire une réponse à la hauteur de l’enjeu environnemental. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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