La prévision météo nous incite à l’humilité
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En septembre 1989, l’ouragan Hugo, l’un des plus violents cyclones jamais enregistrés dans les Antilles, dévaste la Guadeloupe. Des milliers de personnes se retrouvent sans abri. La maison que mes parents venaient tout juste de construire est en partie détruite. J’avais alors 9 ans. Depuis cette nuit cauchemardesque, je me suis pris de passion pour les phénomènes climatiques et me suis formé à la météorologie.
Car, comme on dit : « Mesurer, c’est savoir. » Plus précisément, bien mesurer la météo, c’est bien la prévoir. Heureusement, nos outils de mesure actuels sont incroyablement performants. Si l’on travaillait il y a encore cinquante ans avec seulement quelques photos satellite qui arrivaient au compte-goutte, nous disposons aujourd’hui de données quasi infinies, transmises presque instantanément par des ballons atmosphériques ou des satellites, des capteurs installés sur les bateaux et sur les avions de ligne, et même dans les champs. Dans certains pays, comme les États-Unis, il y a même des associations de météorologues amateurs qui compilent leurs propres observations. Le volume et la qualité des données sont vertigineux. On sait voir dans l’infrarouge, dans la vapeur d’eau ; on peut capter les rayonnements micro-ondes… sans parler des modèles mathématiques qui traitent ces données, et dont la précision et la capacité de calcul ne cessent de s’améliorer. Vous n’imaginez pas tout ce que l’on est capable d’anticiper. Aujourd’hui, on peut prévoir avec une grande fiabilité des événements météorologiques à l’horizon de cinq jours. Cela permet de sauver de nombreuses vies.
Mais notre pouvoir de prévision ne nous protège pas de tout. Bien au contraire, il nous incite avant tout à l’humilité. D’abord, parce que nos outils ne sont pas infaillibles. Prenez les séismes : malgré nos technologies avancées, nous sommes encore incapables de prévoir un tremblement de terre plus de quelques secondes avant la première secousse. Et dès que nous sommes privés d’électricité, notre technologie – de prévision mais aussi de communication, de transport, et autres – devient alors parfaitement inutile.
Il faut nous entraîner à l’imprévisible, presque comme des athlètes
Ensuite, parce que chaque inondation, chaque incendie nous rappellent notre part de responsabilité dans leurs conséquences tragiques. Depuis la Révolution industrielle, nous avons développé des outils qui nous ont donné l’impression de pouvoir tout maîtriser, de pouvoir nous affranchir des lois de la nature : nous avons excavé la terre, détourné des cours d’eau, remodelé des territoires entiers, « adapté » notre environnement à nos besoins. Au point, parfois, de nous laisser emporter par notre hubris : nous avons construit sur des littoraux dangereux ou dans des lits de rivière – avec des répercussions dramatiques, comme en témoignent les inondations survenues dans la région de Valence. Nous avons cessé de prêter attention aux alertes que nous envoyait la nature. Lorsque la montagne Pelée est entrée en éruption en 1902, la moindre scolopendre avait déserté le secteur. Mais le gouverneur de la Martinique, alors en pleine élection législative, avait refusé de faire évacuer la ville de Saint-Pierre, au pied du volcan, causant des dizaines de milliers de morts qui auraient pu être évitées.
Alors que le réchauffement climatique rend notre monde de plus en plus imprévisible – on le voit déjà à travers la recrudescence d’événements météorologiques extrêmes, ou encore à travers les variations de température de plus en plus importantes et resserrées –, il nous faut embrasser une nouvelle culture du risque. Comment ? En affinant nos outils de prévision, bien entendu – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je milite pour un meilleur financement de Météo France et pour l’ouverture des données météo au grand public. Mais aussi, et surtout, en misant sur la prévention. La technologie est nécessaire, mais l’humain reste l’enjeu principal. Notre réaction face à une situation de crise est encore plus imprévisible que la crise elle-même ! Si l’on n’a pas ressenti au moins une fois dans sa chair cette urgence, on risque de se pétrifier. C’est pourquoi il nous faut nous éduquer, nous entraîner à l’imprévisible, presque comme des athlètes. Dans un combat sportif, on sait que l’on va prendre des coups, mais on ne sait pas d’où ils vont venir. Il faut s’entraîner pour être prêts à toutes les éventualités.
Être prévoyant, c’est aussi, parfois, consentir à battre en retraite. Pour protéger les populations, il va falloir accepter de « lâcher » certains territoires : réensauvager des espaces autour des villes, abandonner des littoraux, désartificialiser les berges de certains cours d’eau… Dans les cas les plus extrêmes, il va même falloir partir. Cela nous semble presque inconcevable, pourtant c’est ce que font les peuples polynésiens depuis des millénaires, face à un environnement très instable, avec des ressources qui s’épuisent rapidement. D’ailleurs, c’est déjà une réalité pour les habitants de l’île de Miquelon, dans l’Atlantique Nord, qui ont entrepris de déplacer leur village côtier menacé d’érosion.
En un mot, il nous faut bâtir un nouvel imaginaire de la catastrophe. Une vision du futur qui prenne en compte les risques, sans être dystopique. Qui nous incite aux bons gestes au lieu de nous paralyser de terreur. Et surtout, qui nous donne de l’espoir. Quand notre maison a été détruite dans l’ouragan, mon père m’a dit : « Nous sommes préparés. Nous allons tout reconstruire, en mieux. » C’est ce message que je cherche à transmettre.
Conversation avec LOU HÉLIOT
« Nous ne devrons pas être surpris d’être surpris »
Jean-Pierre Dupuy
Pour Jean-Pierre Dupuy, considérer la catastrophe à venir comme probable est le plus sûr moyen de la conjurer. Face à un monde illisible, il défend une « éthique de l’avenir » attachée à la permanence de la vie humaine sur Terre dans les meilleures conditions possibles.
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