Il est des moments propices aux déclarations. Celui- ci en est un pour moi. La République m’honore de sa plus belle distinction, la Légion d’honneur. Il est donc temps que je lui dise mes vérités.

La première chose que j’ai envie de dire publiquement à la France, c’est que je l’aime. D’un amour dont l’évidence défie l’ostentation. France, tu coules dans mes veines, imprègnes pour le meilleur (peut-être parfois aussi pour le pire !) ma façon de voir le monde, mes goûts et mes répugnances, mes ambitions personnelles et collectives. J’en suis fier, reconnaissant, mais cet amour porte aussi sa part d’exigences. Voilà pourquoi je veux te voir plus épanouie, plus rayonnante, plus inspirante. Or, tu vas dans le Mur. On va dans le Mur. Tôt ou tard en fonction du résultat des élections, mais inéluctablement. Aucun gouvernant, aucune armée, aucun corps intermédiaire ne permettra d’éviter la catastrophe. Pour s’en sortir, il faudrait une réaction du « on » tout entier, de chacun d’entre nous qui voulons faire société. C’est une question de désir partagé et de volonté commune. Car le Mur en question est une création de notre mental, et nous avons la capacité de le déconstruire. Cela n’implique pas un changement violent, mais une révolution douce et profonde. C’est pour cela qu’elle est compliquée pour nous, habitués à la violence et à la superficialité.

 

Repenser l'esprit français

C’est un paradoxe au premier abord : la mondialisation a créé des fractures. L’harmonisation globale des modes de vie qu’elle propose n’est qu’une apparence sous laquelle des sociétés, jusque-là cohérentes, se décomposent, essentiellement parce qu’elles perdent leur colonne vertébrale spirituelle. Les pays qui résistent le mieux sont ceux qui ont conservé un Esprit cohérent avec leur sociologie. Le genre d’Esprit qui fait sens pour tous et qui guide la nation. Attention ! Ce n’est pas un intellect. Il ne s’agit pas de claironner des valeurs séduisantes sans les ressentir, sans les incarner. Un Esprit est une conception profondément ancrée de la vie en communauté qui doit inspirer la conduite de chacun au quotidien. Un Esprit français aurait donc vocation à être la matrice des décisions, des comportements des citoyens français entre eux et en direction de ceux qui ne le sont pas.

Les politiques tentent de convoquer cet Esprit-là. Des éditorialistes évoquent les conséquences de la disparition de cet Esprit-là. Mais rares sont ceux qui osent dire qu’il faut, avant de faire appel à l’Esprit français, le repenser pour qu’il inspire à nouveau chaque Français de bonne volonté, pour qu’il inspire à nouveau le reste du monde. Il faut donc trouver les bâtisseurs de cette matrice garante d’harmonie dans l’espace national. Une assemblée constituante, non pas d’un corpus législatif mais d’une spiritualité laïque : un humanisme.

Qu’est-ce qui, précisément, justifierait une telle démarche ? Les fractures sociales et identitaires qui s’expriment depuis des années dans notre pays, sans trouver sur la durée de remède efficace, avec des soubresauts de plus en plus violents, semblent me donner raison. Manifestations, actes de saccage sur la voie publique, agressions contre les services de l’État, agressions de citoyens par des membres de services de l’État, émeutes, attentats parfois perpétrés par des Français contre leurs compatriotes : à quoi serviraient ces alertes si ce n’est à permettre une prise de conscience ?

Autre symptôme de la disparition de cet Esprit français : la défiance, la contestation des messages officiels ou perçus comme tels. Elles ont, me semble-t-il, rarement été aussi grandes dans notre histoire récente. La crise sanitaire en est l’un des exemples les plus criants. Si les décisions du gouvernement et, de façon plus générale, les informations relayées par les médias sont aussi contestées, c’est en partie parce que nous avons de moins en moins en commun, et de plus en plus le sentiment de défendre des intérêts différents, voire opposés. Il y a certes prolifération sur les réseaux sociaux de thèses alternatives, mais le crédit donné à ces thèses, parfois ridicules, est facilité par l’absence d’adhésion à une communauté nationale supposant un lien de confiance entre ses membres, ses institutions, ses services publics et sa presse.

 

Une nation en pleine décohérence

D’où peut bien venir ce genre de mal-être profond qui engendre de la dysharmonie ? Je voudrais poser ici une notion importante : l’identité psychologique.

La déterminer pour un individu ou pour un groupe, c’est partir de la question : qui suis-je pour moi-même ? Qui sommes-nous pour nous-mêmes ? Cette identité pour soi-même, qui peut être différente de celle que vous assignent les autres, est un enjeu crucial. Elle définit largement les réactions et les postures dans l’espace social. Plus l’identité psychologique d’un individu est cohérente avec son identité pour les autres, plus il est apaisé. Pour prendre un exemple simple, un garçon qui est perçu par les autres comme étant un garçon sera plus apaisé qu’une fille qui est perçue socialement comme étant un garçon (peut-être parce qu’elle a un corps de garçon). Dans ce cas-là, il est aujourd’hui admis dans notre pays que l’individu puisse changer de genre pour que son état civil corresponde à son identité psychologique. Et ce sans justifier d’interventions chirurgicales de changement de sexe.

Lorsqu’une communauté humaine se forme et qu’elle a vocation à perdurer dans le temps, les individus qui la fondent la dotent d’une identité psychologique de groupe basée sur une vision du monde, des valeurs, des ambitions partagées. C’est l’Esprit auquel j’ai fait référence qui confère aux individus du groupe un cadre cohérent, inspirant, censé faciliter le vivre-ensemble. En un mot : une nation. De facto, plus l’identité psychologique de la nation sera cohérente (entre les individus qui la composent et avec l’identité psychologique de l’ensemble) plus la vie du groupe sera harmonieuse. Or, ce qui a été l’Esprit français s’est figé jusqu’à devenir quasi invisible et inaudible pour une société française qui a accéléré sa mutation dans le brouhaha et le kaléidoscope frénétique de la mondialisation. Les individus qui se construisent dans notre pays n’ont plus de tuteur laïque, patriotique pour se bâtir une identité psychologique collective. À la question « qu’est-ce qu’être français ? », il n’y a plus de réponse philosophique, inspirante. Juste des conditions techniques et juridiques. Sans ce tuteur moral qu’est l’identité psychologique collective, les membres du groupe national sont susceptibles de s’éparpiller dans des identités psychologiques collectives communautaires différentes, voire opposées.

 

Communautés et identité

Si j’évoque l’existence d’identités collectives communautaires, ce n’est pas pour stigmatiser des imprégnations culturelles extérieures à la culture

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