C’est un fait souvent vérifié dans le bruit et la fureur, dans les cris et les peurs qui parfois engendrent la violence, verbale ou physique : on ne se voit pas, on ne se voit plus. On ne s’entend pas, on ne s’écoute plus. On est chacun seul et isolé, petit ruisseau formant de grandes rivières douloureuses. Ce que Pierre Rosanvallon, dans l’entretien qu’il donne au 1, et en écho à son livre très éclairant Les Épreuves de la vie, appelle des « communautés méprisées ». Ainsi la France ne serait plus qu’une accumulation de souffrances ou de sous-France – les termes sonnent étrangement pareil. Avec comme symptôme une atonie politique marquée par l’abstention qui, loin de signifier l’indifférence, trahit avant tout le rejet du système.

Les destinées collectives jadis canalisées par des institutions plus grandes que nous, rassurantes et impliquées, hiérarchiques et souvent paternalistes – le parti, le syndicat, l’Église –, se sont quasiment défaites pour laisser place à des ressentis individuels épars et peu contrôlables. À chacun ses raisons de protester en brandissant de nouvelles légitimités – la défense du climat, la lutte contre les abus et les asservissements sexuels (#MeToo), contre les heureux d’en haut, dénués d’empathie pour les plus modestes et leurs difficultés (les Gilets jaunes des ronds-points et de la France qui roule à 80 kilomètres/heure). On expérimente dans la difficulté que la « société des semblables » décrite par Tocqueville, sans privilèges ni discriminations, a encore du chemin à faire pour rencontrer le monde réel.

Comment recoller le miroir brisé quand notre pays se présente comme un agglomérat de communautés qui ne sauraient composer une société ? En cette dernière rentrée avant la grande ligne droite – et ses emballements inévitables – de la présidentielle, on a vu fleurir dans nos villes cette campagne de RTL, baptisée « Revivre ensemble », qui suggère en photo la bonne entente retrouvée du ministre de la Santé Olivier Véran avec le professeur Didier Raoult. Il en faudrait davantage pour créer du commun quand les positions semblent si peu conciliables, donc irréconciliables. Les fractures françaises semblent si profondes et multiples, sur fond de défiance généralisée, que le politique est confronté à une situation aussi complexe qu’inédite : agir pour l’intérêt général en tenant compte d’une infinité d’intérêts particuliers. Gouverner, dit Pierre Rosanvallon, c’est tenir compte des singularités. C’est aussi casser les murs et les cloisons qui ne séparent pas seulement les classes, mais aussi les différentes identités dont est constituée notre société, défend le journaliste Harry Roselmack dans un texte très personnel et habité. Retrouver les ressorts du commun, c’est, croit-il, rendre sa force à un « Esprit français » qui a déserté l’espace public, et autour duquel chacune, chacun pourrait se retrouver. « Vaste programme », aurait dit un célèbre général… 

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