Les épidémies ont marqué l’histoire. Elles sont imprévisibles. Pourtant, avec l’émergence de nouvelles maladies infectieuses comme le sida ou la légionellose, la réémergence de maladies qu’on croyait sous contrôle, ou l’apparition des épidémies à coronavirus, nous entrons depuis la seconde moitié du XXe siècle dans une nouvelle transition que favorisent des facteurs liés à la mondialisation. Il faut les comprendre pour tenter de prévenir les épidémies et développer les moyens de lutte pour s’y préparer.

 

Le poids de la démographie

La densité des populations joue un rôle considérable dans la dynamique des épidémies. Or, la population mondiale a presque doublé en quarante ans pour atteindre plus de 7 milliards en 2017. À ces évolutions démographiques s’ajoutent les migrations et l’inégalité de répartition des populations d’un pays à l’autre, voire à l’intérieur d’un même pays en raison d’une concentration dans les mégapoles. La majorité des risques potentiels d’explosion virale se situent dans les nappes urbaines des pays du Sud, du fait de leur proximité avec les zones à forte biodiversité et de la mitoyenneté avec la faune sauvage, principale source des zoonoses (maladies infectieuses qui se transmettent des animaux à l’homme).

 

L’impact des voyages et échanges commerciaux

Les diffusions épidémiques dépendent aussi des voyages et des échanges commerciaux. Comme la route de la soie a facilité la rencontre des hommes, des rats, des puces et de la peste, comme le commerce triangulaire des esclaves a apporté au Nouveau Monde le moustique Aedes aegypti et la fièvre jaune, les transports modernes facilitent le brassage des germes autant que celui des peuples. En 2018, le trafic aérien a continué de progresser de plus de 6 %. Cette tendance représente un danger de propagation des maladies infectieuses émergentes à période d’incubation courte, telles que le virus West Nile aux États-Unis en 1999, le SRAS au Canada en 2003 ou le Covid-19 actuellement.

 

Le rôle de la faune sauvage et de l’élevage industriel

L’homme n’est pas seul en cause : il forme avec l’animal un couple indissociable. Ainsi, lors de la pandémie de 2005, le virus H5N1 peut avoir été transporté par des oiseaux migrateurs, mais c’est plus probablement par des volailles importées dans le cadre d’un trafic illégal qu’il s’est introduit dans l’hémisphère nord. De fait, l’intensification des échanges de marchandises, favorisée par la mondialisation, a une conséquence : la disparition des moyens de quarantaine et des contrôles sanitaires aux frontières. Quand l’homme n’est pas directement impliqué par le biais des contacts entre individus, à la faveur des regroupements urbains, des migrations ou des transports, il l’est en multipliant les rencontres avec l’animal. Les occasions ne manquent pas, nombre de pratiques agricoles le facilitent. La destruction des forêts d’Afrique tropicale, d’Amazonie et d’Indonésie a bouleversé l’écologie et favorisé le contact entre l’homme et la faune. L’exploitation de bois exotiques a rapproché l’homme des grands singes, réservoir du VIH, et des populations de chauves-souris hôtes des virus Ebola et Marburg, tout comme du SARS-CoV et du SARS-CoV-2. Le risque est grand de nouvelles transmissions interespèces. Toutefois, les contacts avec la faune sauvage ne sont pas seuls en cause : l’élevage intensif de poulets, cochons ou ruminants, qui facilite la recombinaison entre virus animaux et humains, est aussi à l’origine de nombreuses épidémies, à commencer par celle des grippes.

 

La résistance des microbes aux traitements

Il existe une autre forme d’épidémie potentielle liée à l’apparition de microbes résistants aux thérapeutiques usuelles. Ce phénomène – déjà constaté par les pionniers de l’antibiothérapie, dont Alexander Fleming – a conduit à l’utilisation de cocktails à base de plusieurs antibiotiques pour venir à bout des microbes les plus tenaces. Cela n’a pas empêché de nouvelles résistances. L’un des exemples les plus dramatiques est celui de la tuberculose. Les premières observations ont été rapportées aux États-Unis à partir de 1985, quand l’épidémie du sida a favorisé l’apparition de ces bacilles insensibles aux traitements. L’OMS évalue à 440 000 le nombre de cas de tuberculose multirésistante dans le monde, à l’origine d’au moins 150 000 décès, tandis que le taux de prévalence de tuberculose ultrarésistante aux médicaments de seconde intention augmente de façon alarmante. De manière générale, de multiples paramètres expliquent ces nouvelles résistances, notamment la mauvaise utilisation des antibiotiques, leur prise insuffisante ou insuffisamment prolongée. Mais ces phénomènes de résistance ne sont pas limités aux antibiotiques. Ils intéressent l’arsenal thérapeutique anti-infectieux dans son ensemble. Ils suscitent des préoccupations croissantes au niveau de la lutte contre le sida et le paludisme, les traitements les plus récents de ces deux maladies ayant eux aussi pu se heurter à ce type de résistance.

 

Les conséquences du réchauffement climatique

Le changement climatique pourrait influer sur la sélection des microbes. La hausse des températures et les perturbations météorologiques pourraient contribuer à l’apparition de souches plus ou moins virulentes. Elles devraient aussi avoir un effet sur les animaux réservoirs ou vecteurs et modifier leur répartition, leur abondance et leurs migrations. Ainsi a-t-on vu récemment apparaître des espèces de moustique, Aedes albopictus notamment, susceptibles de propager des infections de dengue et de chikungunya dans le sud de la France. Le réchauffement climatique et l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre méritent vigilance.

 

L’expert, le diplomate et l’éducateur

Qu’elle soit naturelle ou provoquée par l’homme, l’émergence des pathogènes peut survenir n’importe où et n’importe quand. Si la connaissance du danger commence avec celle des facteurs de risque, sa maîtrise nécessite une vigilance de chaque instant qui doit s’incarner dans trois personnages symbolisant trois fonctions complémentaires : l’expert, le diplomate et l’éducateur.

L’expert a la délicate mission de comprendre les ressorts des épidémies : caractériser l’agent pathogène, notamment par le séquençage du génome, ses méthodes de culture, la mise au point de tests diagnostic par biologie moléculaire ou sérologie ; organiser la prévision épidémiologique, en particulier par modélisation ; mettre au point les traitements.

Comme les épidémies se jouent des frontières, le scientifique doit pouvoir mettre en œuvre une coopération entre États et favoriser la formation de réseaux internationaux. À ce titre, il endosse à sa manière les habits de diplomate. Il participe intensément à ces échanges internationaux qui débouchent sur des politiques publiques.

De même, l’émergence d’une crise sanitaire crée une situation particulière et des tensions. Cela justifie une information adaptée qui sera déterminante car de la diffusion des connaissances d’une épidémie dépendent en grande partie les réactions de la population face à la crise. Mais il faut surtout privilégier l’éducation entre les crises, éducation large, portant sur les microbes et la vulnérabilité des hommes, sur la nature de la contagion, sur les risques d’émergence. C’est en comprenant mieux les épidémies du passé et celles à venir que le citoyen pourra davantage participer à une telle ambition.

 

Une veille sanitaire indispensable

À ces trois fonctions doit s’ajouter une indispensable veille sanitaire. Elle représente la stratégie la plus efficace pour contrecarrer un début d’épidémie. Cette veille peut et doit s’exercer à tous les stades du phénomène d’émergence, du terrain à l’hôpital en passant par le laboratoire. Elle doit porter sur les populations potentiellement à risque et sur les territoires propices à ces maladies.

Des progrès importants ont été accomplis grâce au développement des systèmes d’information géographique. Des satellites offrent des images précises de l’occupation des sols, des évolutions climatiques, etc. Ces instruments permettent de modéliser les phénomènes d’émergence et de diffusion des épidémies, de préparer les enquêtes de terrain, et de mettre en place la riposte. Ils servent à situer dans l’espace et dans le temps les objets décrits par l’épidémiologie – à savoir les individus, les vecteurs, les réservoirs, les populations, l’environnement naturel – et offrent donc la possibilité de cartographier le risque. C’est ainsi que l’on pourra cibler les zones à haut potentiel épidémique, prévenir une diffusion hors de contrôle des virus, et préserver la santé de tous. 

 

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