Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère, n’excluons pas l’hypothèse qu’en répondant à cette enquête de la Fondation Jean-Jaurès, tu aies cherché à donner de toi une image flattée. Car si tu étais si avide de savoir, de comprendre et de maîtriser le nuage informationnel, certains journaux pourraient ajouter un zéro au nombre de leurs abonnés. Mais puisque te voilà à la peine, mon semblable, mon frère, veux-tu que je te donne une liste de publications ou de sites dont le contenu est accessible à n’importe quelle honnête personne, qui te guideront comme ils me guident dans l’épaisseur du nuage informationnel ?

Voilà Mediacités, qui s’emploie depuis cinq ans avec obstination et pertinence à pallier la faiblesse et la complaisance de tant de journaux régionaux ; voici Telos, qui publie des analyses si documentées et argumentées que même ceux qui en tirent d’autres conclusions y puisent de quoi nourrir leurs convictions. L’un et l’autre peinent à boucler leur budget, faute d’un nombre suffisant d’abonnés ou de donateurs, et ils n’intéressent pas les mécènes parce que les mécènes ne volent au secours que des victoires consacrées de longue date. Leur offrirais-tu ta contribution ou grossiras-tu les rangs de ceux qui ne paient leur écot à des sites que s’ils leur promettent de quoi se scandaliser, autrement dit de montrer leur belle âme, de se monter le bourrichon et de rester cocoonés dans leurs certitudes ?…

Ces bacchanales de jabotage conduisent, apprenons-nous, 77 % de Français à limiter ou à cesser leur recherche d’informations

Et puis, mon semblable, mon frère, elle a dû te faire plaisir l’analogie entre toi, planté devant la « télé Bolloré » et Morgan Spurlock ruinant sa santé chez McDonald’s. C’est un rapprochement amusant et astucieux, et « Super Size News » pourrait bien être une expression appelée à courir les claviers. Il y a au moins une ressemblance entre McDo et Hanouna (outre le cynisme) : ils vendent une ambiance et un sentiment d’appartenance et de « venez comme vous êtes », on ne vous demandera aucun effort. Mais n’y a-t-il pas une différence entre eux ? Ce n’est pas seulement que McDo a été capable d’une correction cosmétique après le film de Spurlock, en renonçant au menu super size et en proposant des salades, c’est surtout que personne ne va chercher d’informations chez Hanouna, chez Praud ou chez Morandini, alors qu’un bon peu des clients de McDo n’ont pas les moyens d’une autre cantine et que quelques-uns y font le principal, voire le seul repas de leur journée…

Certes, les débats de coqs qui font l’ordinaire des plateaux susmentionnés ont métastasé dans un nombre étonnant de télés et de radios, service public compris. Ces bacchanales de jabotage conduisent, apprenons-nous, 77 % de Français à limiter ou à cesser leur recherche d’informations, et l’étude qui nous informe place ses espoirs dans une revisite par les Français de leur consommation d’information, comme ils ont commencé à revisiter leurs pratiques alimentaires. D’accord, mais que les médias commencent. Qu’ils s’intéressent à la société. Qu’ils fouissent la réalité des « territoires », comme le fait Mediacités. Qu’ils produisent une réflexion originale dans un langage accessible, comme le fait Philosophie Magazine. Qu’ils proposent un point de vue informé qui n’enfonce pas des clous dans la tête de ses lecteurs, comme Telos. Qu’ils aillent voir le monde et nous le rendent intelligible. Que leur apport renvoie à leur vacuité les plateaux de bruits de bouche, les commentateurs de commentaires, les Aristarques de tous poils.

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