Quand on aborde le sujet du changement climatique, on se berce encore volontiers de l’illusion qu’une action déterminée nous permettra d’en éviter les conséquences les plus graves ; que nous sommes tous dans le même bateau, qu’il s’agit, pour nous sauver tous, d’embarquer ensemble vers la « transition énergétique » grâce à un « agenda des solutions » qui fera de chacun un « acteur de changement ».

La réalité est que nous n’éviterons pas la catastrophe, parce que la catastrophe est déjà là. Partout, des populations entières sont décimées et déplacées par les effets du changement climatique. Chaque année, des personnes – une par seconde, soit 26 millions environ – sont poussées à fuir par des catastrophes naturelles, dont beaucoup s’exacerberont avec le réchauffement de la planète.

La première chose à faire, si nous voulons affronter la catastrophe, c’est d’abandonner l’espoir que nous pourrons l’éviter, et de reconnaître la violence que représente le changement climatique pour une part croissante de la population mondiale. Le concept d’anthropocène a ceci de pervers : il laisse sous-entendre que tous les humains sont devenus acteurs des transformations de la Terre, alors que la majorité sont en réalité victimes de ces transformations.

Ce qui nous empêche d’agir résolument contre le changement climatique, c’est sans doute la dimension profondément altruiste de cette lutte : nous n’agissons pas pour nous, mais pour les autres. Il n’existe aucun lien entre les émissions produites par un pays ou par une génération, et les impacts du changement climatique que subira ce pays ou cette génération. Mais la négociation internationale, par nature, n’est pas altruiste. Et la lutte contre le changement climatique reste donc largement perçue comme une contrainte à laquelle chacun essaie d’échapper.

Notre incapacité à agir résolument pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre représente donc, en quelque sorte, un échec du cosmopolitisme. Si nous voulons faire de la COP21 un succès, il faudra d’abord qu’elle reconnaisse la violence du changement climatique pour les populations du Sud. Bien loin de l’agenda des solutions prôné par le gouvernement, ou de la croissance verte défendue par les organisations internationales, la lutte contre le changement climatique ne sera pas un long fleuve tranquille, une transition harmonieuse. C’est bien d’une révolution qu’il doit s’agir, d’une rupture profonde avec le passé. Huit des dix premières entreprises mondiales, en termes de capitalisation boursière, dépendent directement du pétrole, qu’elles soient compagnies pétrolières, fabricants de voitures ou industries chimiques. Pour ces huit-là, le passage à une économie à bas carbone implique une révision stratégique de leur activité. Car les intérêts en présence sont à ce point contradictoires qu’il y aura inévitablement des gagnants et des perdants. Et ce que l’on demandera avant tout à la COP21, c’est de trancher, plutôt que de louvoyer sans cesse entre deux voies, comme l’ont fait les gouvernements jusqu’ici.

Pour que la COP21 puisse être un succès, il faut également que la lutte contre le changement climatique devienne un projet politique mobilisateur. Grâce notamment aux travaux du GIEC, nous avons désormais une idée assez claire de ce que serait un monde soumis à un changement climatique non contrôlé. Ce monde-repoussoir, ce monde-épouvantail, nous le connaissons. Ce qu’il nous faut à présent, c’est un monde dans lequel nous aspirions à vivre, un monde qui fasse une place à chacune des populations de la planète. Ce monde qui serait la copie carbone (sans jeu de mots) du monde dépeint par le GIEC, il nous reste à l’inventer. Comme les voies qui permettront de nous y amener. Tracer les premiers contours de ce monde idéal, qui puisse être une aspiration commune à l’ensemble de l’humanité, ce n’est pas la plus mince des tâches à laquelle la COP21 devra s’atteler. Mais cette narration est aussi la condition de l’engagement de tous. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !