L’étude du changement climatique est un domaine scientifique un peu particulier, où la démarche expérimentale classique n’est applicable que de manière virtuelle, par le biais de la modélisation numérique. Dès lors, la confiance qu’on accorde aux résultats dépend, entre autres, de celle qu’on accorde aux modèles utilisés. Ces modèles étant, comme tout modèle, imparfaits, des climatosceptiques s’engouffrent dans la brèche pour remettre en cause leurs résultats. Comment ces modèles de climat fonctionnent-ils ? Quelle confiance peut-on leur accorder ? Certains résultats sont-ils plus fiables que d’autres ? Répondre à ces questions sera aussi l’occasion de réfuter certains arguments souvent avancés par les climatosceptiques.

Tout d’abord, pourquoi a-t-on besoin de modélisation numérique ?

Depuis cent cinquante ans, la température globale de la Terre s’est réchauffée d’environ 1 °C. En même temps, la concentration atmosphérique en CO2, gaz à effet de serre, a augmenté en parallèle des émissions produites par les activités humaines. Lien de cause à effet ou pure coïncidence ? Pour répondre à cette question selon la démarche expérimentale classique, il faudrait dupliquer notre planète, lui faire remonter le temps de cent cinquante ans et la laisser évoluer jusqu’à nos jours sans émettre de CO2, tout en accélérant le temps pour obtenir les résultats aujourd’hui. Impossible ! De même, de combien de degrés le climat se réchauffera-t-il si on double la concentration en CO2 d’ici 2100 ? Pour le savoir, il faudrait dupliquer notre planète, en doubler la concentration en CO2 et accélérer le temps jusqu’en 2100. Impossible aussi… sauf de manière virtuelle, par le biais de la modélisation numérique. Le but de la modélisation est justement de nous permettre de créer autant de planètes virtuelles que l’on veut, de les soumettre aux concentrations en CO2 que l’on veut, puis de remonter le temps ou de l’avancer…

Pour cela, il nous faut des modèles de climat. Comment fonctionnent-ils ?

Il s’agit de gros programmes informatiques qui simulent les différentes composantes du système climatique : l’atmosphère, l’océan, les surfaces continentales, les glaces. Ces programmes retranscrivent sous forme numérique des milliers d’équations physiques. Par exemple, la composante atmosphérique des modèles de climat résout numériquement les équations de la mécanique des fluides sur un maillage tridimensionel de l’atmosphère terrestre. Les mailles mesurent environ 100 kilomètres. Les processus qui se déploient à une échelle inférieure à la maille, tels que les nuages, la pluie ou le rayonnement, sont représentés par ce qu’on appelle des paramétrisations physiques. Ainsi, on calcule combien de vapeur d’eau condense à partir de la vapeur d’eau présente dans la maille, quelle proportion de cette eau condensée précipite pour former de la pluie, quelle proportion de cette pluie s’évapore en tombant, le tout en moyenne sur la maille. 

Les modèles de climat tournent sur des calculateurs très puissants. En effet, dans chacune des millions de mailles de l’atmosphère, on calcule toutes les variables météorologiques, toutes les quelques minutes, comme le font les modèles de prévision météorologique. Mais tandis que les modèles de prévision météorologique calculent ces variables sur quelques jours à quelques semaines, les modèles de climat les calculent sur des centaines à des milliers d’années !

Si on a du mal à prévoir la météorologie à une échéance de plusieurs jours, comment faire confiance aux modèles de climat pour prévoir le climat à une échéance de cent ans ?

C’est un argument souvent avancé par les climatosceptiques. Les modèles de prévision météorologique et de climat sont similaires du point de vue physique, mais ils sont utilisés dans des configurations différentes. Pour les prévisions météorologiques, ils sont initialisés grâce à des observations, et la moindre erreur dans l’état initial modifie complètement les prévisions à une échéance de quelques jours, selon l’« effet papillon ».

Pour les projections climatiques, il ne s’agit pas de prévoir le temps qu’il fera tel jour dans cent ans, mais de prédire le climat, c’est-à-dire la distribution statistique des variables météorologiques sur plusieurs décennies. Cette distribution n’est pas sensible aux conditions initiales, mais plutôt au bilan d’énergie de la planète. Les variations saisonnières d’énergie solaire reçue engendrent, par exemple, les variations saisonnières de température, indépendamment des conditions initiales. De même, la concentration en CO2 impacte l’énergie qui s’échappe de la Terre vers l’espace, et donc la température globale de la planète.

Est-il possible d’ajuster les modèles de climat pour leur faire simuler ce qu’on veut ?

C’est ce que les climatosceptiques prétendent souvent. Les règles de la démarche expérimentale classique s’appliquent à nos expériences virtuelles : si le but est de tester une hypothèse, on ne peut pas valider le modèle sur cette même hypothèse. Ainsi, si le but est d’étudier le réchauffement climatique futur, on ne valide pas les modèles en ciblant un réchauffement donné, mais plutôt par rapport au climat présent ou passé. Par exemple, les résultats des paramétrisations physiques sont comparés aux nombreuses variables météorologiques mesurées simultanément lors de campagnes de terrain. Le climat global simulé est comparé à des observations satellitaires. Des simulations de climats passés sont comparées à des archives paléoclimatiques. La composante atmosphérique des modèles de climat peut même être utilisée pour simuler le climat d’autres planètes ! Ainsi, même si, pour des raisons militantes, un scientifique voulait qu’un modèle produise un réchauffement climatique élevé, bien malin qui saurait le faire tout en évaluant ce même modèle par rapport à des climats aussi variés et à des observations aussi multiples !

Quelle confiance peut-on avoir dans les projections climatiques simulées par les modèles de climat ?

Il existe dans le monde une quarantaine de modèles de climat, dont deux français. Ils réalisent tous les mêmes simulations selon le même protocole, dans le cadre du programme international CMIP (Coupled Model Intercomparison Project). Les résultats sont gratuitement accessibles à tous. En comparant ces simulations, on peut identifier des résultats pour lesquels tous les modèles s’accordent. Par exemple, selon tous les modèles, si les concentrations en CO2 étaient restées stables depuis cent cinquante ans, la Terre ne se serait pas réchauffée, ce qui prouve la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique en cours. De même, selon tous les modèles, si la concentration en CO2 augmente dans l’atmosphère, la Terre se réchauffe. Parmi les conséquences de ce réchauffement, une augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur. La pluie diminue sur le pourtour méditerranéen, faisant grandir le risque de sécheresse, et augmente dans les régions équatoriales, aggravant le risque d’inondation.

Notre confiance dans ces résultats vient non seulement de la concordance entre les modèles de climat, mais aussi de notre bonne compréhension des mécanismes physiques en jeu. On a d’autant plus confiance que ces mécanismes reposent sur de la physique simple et fondamentale, et que des modèles de complexité variée, du modèle conceptuel simple au modèle de climat, s’accordent sur le même résultat.

Peut-on être aussi confiant pour chaque aspect des projections climatiques ?

On a moins confiance en l’augmentation exacte de la température globale en réponse à une augmentation donnée de la concentration en CO2, qui varie entre 2,5 et 4,5 °C selon les modèles pour un doublement du taux de CO2, ou pour des changements pluviométriques sur les régions de mousson. Ces désaccords sont principalement causés par des différences dans la représentation des nuages par les paramétrisations physiques. En effet, les paramétrisations de nuages, même complexes et très détaillées, reposent sur des hypothèses simplificatrices qui peuvent varier en fonction des modèles. Les discordances entre les modèles, ainsi que notre compréhension encore limitée des mécanismes physiques par lesquels les nuages modulent le changement climatique, réduisent notre confiance dans ces résultats. Ce n’est pas un tabou : dans les publications scientifiques ou dans les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le degré de confiance et les incertitudes sont systématiquement indiqués pour chaque résultat énoncé. L’incertitude qui pèse sur certains résultats n’a rien d’incompatible avec notre confiance dans d’autres.

Comment réduire ces incertitudes ?

C’est un sujet de recherche qui mobilise beaucoup les scientifiques. Pourquoi n’utiliserions-nous pas simplement un seul modèle de climat du programme CMIP, le plus performant ? Le problème est que chaque modèle a ses forces et ses faiblesses. Aucun n’est meilleur pour simuler toutes les variables météorologiques dans toutes les régions du monde. De plus, des erreurs peuvent en contrebalancer d’autres et donner de bons résultats par rapport aux observations actuelles, mais ne plus se compenser dans le climat futur. 

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