« Je commençais à marcher, Proust vivait encore et terminait la Recherche. Contemporains ? » s’interroge Roland Barthes dans un texte autobiographique. Lorsqu’il naît en 1915 à Cherbourg, Proust a en effet 45 ans, et la France est en guerre. Il n’a pas encore un an quand son père, Louis Barthes, officier de la marine marchande, perd la vie lors d’un combat naval en mer du Nord. La veuve de guerre Henriette et son fils devenu pupille de la nation rejoignent alors le Pays basque pour s’installer chez les parents de Louis à Bayonne, « ville parfaite ». Dans la maison de la grand-mère, véritable « imaginaire primordial de l’enfance », le jeune Roland mène une vie choyée, rituelle. Il apprend le piano avec sa tante Alice et écoute, à l’heure du thé, les conversations des grandes dames de Bayonne, « indice bourgeois et charme certain », écrira-t-il plus tard.

La fin de l’enfance arrive brutalement, lorsque Henriette décide de s’installer à Paris pour y travailler comme relieuse. Barthes a 9 ans, et Bayonne incarnera désormais la nostalgie d’un paradis perdu. À Paris, dans leur petit appartement du 6e arrondissement, les conditions de vie sont difficiles. L’argent manque souvent, et Roland doit faire de la place à un demi-frère, Michel : « J’ai eu une enfance et une adolescence pauvres. Il nous arrivait fréquemment de ne pas avoir à manger. Et j’avais le spectacle quotidien de ma mère qui travaillait dur. Ce sont des petits phénomènes qui marquent durablement, qui vous rendent par la suite dépensier. »

Le 10 mai 1934, le jeune Barthes se met à cracher du sang. On lui diagnostique une tuberculose, un mal souvent fatal à l’époque

Scolarisé au lycée Montaigne puis à Louis-le-Grand, Roland est un excellent élève, plutôt réservé et silencieux. Avec Philippe Rebeyrol, son ami d’adolescence qui le restera toute sa vie, il rêve d’intégrer la prestigieuse École normale supérieure, découvre la politique en lisant Jaurès avec passion, et la littérature en se plongeant dans Proust, dont l’art de révéler l’intime à partir des petits faits du quotidien le fascine. L’adolescent nourrit, lui aussi, des velléités d’écriture. Il imagine l’histoire d’un jeune provincial révolté contre l’hypocrisie d’un milieu bourgeois, auquel il finit par se soumettre. Ce projet de roman l’occupera tout un été, avant que le baccalauréat et l’accession au pouvoir d’Hitler ne le relèguent à l’arrière-plan. Avec quelques camarades de lycée, il fonde alors le groupe Défense républicaine et antifasciste, un engagement qui marque l’éveil d’une conscience politique de gauche qui ne le quittera jamais.

 

Le « sana »

Le 10 mai 1934, le jeune Barthes se met à cracher du sang. On lui diagnostique une tuberculose, un mal souvent fatal à l’époque. Débutent alors huit années de maladie, de réclusion et de frustration, une vie de « tubard » par laquelle « soit en fait, soit en imagination, on arrive très vite à la mort ». Envoyé en cure dans les Pyrénées, le convalescent lit Balz

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