Les méchants m’ont vanté leurs mensonges frivoles ;
Mais je n’aime que les paroles
De l’éternelle Vérité.
Plein du feu divin qui m’inspire,
Je consacre aujourd’hui ma lyre
À la céleste Charité.

 

En vain je parlerais le langage des anges ;
En vain, mon Dieu, de tes louanges
Je remplirais tout l’univers :
Sans amour, ma gloire n’égale
Que la gloire de la cymbale
Qui d’un vain bruit frappe les airs.

 

Que sert à mon esprit de percer les abîmes
Des mystères les plus sublimes,
Et de lire dans l’avenir ?
Sans amour, ma science est vaine,
Comme le songe dont à peine
Il reste un léger souvenir.

 

Que me sert que ma foi transporte les montagnes,
Que dans les arides campagnes,
Les torrents naissent sous mes pas,
Ou que ranimant la poussière,
Elle rende aux morts la lumière,
Si l’amour ne l’anime pas ?

 

Oui, mon Dieu, quand mes mains de tout mon héritage
Aux pauvres feraient le partage ;
Quand même pour le nom chrétien,
Bravant les croix les plus infâmes,
Je livrerais mon corps aux flammes,
Si je n’aime, je ne suis rien.

 

Les hommes vont de multiples chemins. Leurs pas se confondent à travers les siècles. Comme nombre de migrants aujourd’hui, saint Paul parcourut le Proche-Orient jusqu’en Occident. Mais ce fut en missionnaire, pour exposer la vérité de l’Évangile. Des lettres gardent trace de son activité. Dans le treizième chapitre de la première épître aux Corinthiens, il fait l’éloge de la charité, qu’il désigne du fraternel agapè plutôt que du passionnel eros. Les chrétiens comprendront qu’elle est l’amour parfait de Dieu, qui unit Dieu et ses créatures. Le pape François nourrit aujourd’hui ses fidèles de cette injonction de solidarité. Rédigé en 1694, le premier cantique spirituel de Jean Racine paraphrase ce passage du Nouveau Testament. Il s’agit à l’époque d’un exercice courant. Loin de traduire littéralement le texte grec, le dramaturge et poète en déploie le sens en alexandrins et octosyllabes. Racine approche alors de la fin de sa vie. Avec Esther et Athalie, il a donné aux pension-naires de Saint-Cyr deux tragédies bibliques avec chœurs. Les quatre Cantiques spirituels sont à nouveau composés pour une musique de Jean-Baptiste Moreau. Admirez l’harmonie des sons à laquelle parvient le maître dans le court extrait ci-dessus. Des générations d’écrivains ont étudié les subtils échos et modulations de ces voyelles et consonnes. Les mots choisis sont les plus simples. Les questions, les répétitions, les affirmations rythment les vers avec une grande légèreté. Tout concourt à plonger l’auditeur dans l’état de paix propice aux révélations. 

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