Le terme de fédéralisme est un épouvantail pour beaucoup d’Européens et particulièrement pour les Français modelés par le jacobinisme et la tradition de l’État-nation souverain initiée par le juriste Jean Bodin au xvie siècle. D’où l’impossible compréhension et l’inversion de sens qu’il subit en étant assimilé à une organisation visant une souveraineté centralisée. Or la fonction de toute fédération est, a contrario, de concilier deux exigences : maintenir la diversité existante tout en parvenant à l’unité requise pour l’efficacité.

Il lui faut trouver comment organiser un pouvoir qui préserve l’autonomie des entités concernées ou, selon la formule de l’écrivain et philosophe Denis de Rougemont, acquérir « l’unité pour la diversité et non malgré la diversité ». Le principe de subsidiarité en est, bien évidemment, la cheville ouvrière puisqu’il consiste à ne jamais confier à une plus grande unité ce qui peut être réalisé par une plus petite. Sa fonction est de laisser le citoyen responsable dans la limite de ses compétences, ce qui implique que le pouvoir de l’entité fédérale ne puisse être que suppléant.

Or, si l’Europe est malade aujourd’hui, c’est parce qu’elle est la résultante de rafistolages bricolés dans l’urgence par nos gouvernements à chaque crise qu’elle vit. Cette impéritie qui sévit depuis tant d’années est clairement attribuable à leur refus de faire le pas vers une Europe structurellement viable et adaptée aux exigences de la mondialisation. Ce sont malheureusement les ravages de la défiance et des demi-mesures qui produisent la kyrielle de blocages que nous déplorons chaque jour sur le budget européen, sa fiscalité, son armée, sa politique étrangère ou sa politique migratoire.

La crise de 2008 constitue à cet égard un exemple éclairant. Les États-Unis, qui l’ont provoquée, s’en sont remis rapidement alors que l’Europe, et elle seule, est encore touchée, car, faute de dimension politique, elle n’a pu rassurer les marchés. 

Il en résulte que les citoyens, voyant l’Europe incapable d’apporter une solution aux différentes crises qui déferlent, ne croient plus qu’elle puisse leur apporter la prospérité, ni même, par sentiment de menace devant l’arrivée de migrants, respecter les valeurs qui en faisaient le socle. 

Ce sont cependant les gouvernements nationaux qui, sous le terme de gouvernance, au long des conférences intergouvernementales, exercent le pouvoir selon leurs intérêts nationaux (et bien souvent aussi électoraux). Il en résulte des recommandations non suivies et des menaces d’amendes jamais infligées. Mais n’oublions pas que ces politiques ont été élus sur des programmes nationaux et jamais européens. Dans ces conditions, pourquoi devraient-ils se souvenir qu’une fédération européenne remarquablement démocratique et parfaitement fonctionnelle avait, dès 1953, été prévue par une commission constitutionnelle de vingt-six personnalités qui avait obtenu un vote unanime, moins cinq abstentions ?

Cette ébauche de constitution européenne fédérale correspondait au vœu révolutionnaire de ceux que l’on a appelés les Pères de l’Europe : Robert Schuman, Winston Churchill, Alcide De Gasperi ou Paul-Henri Spaak… Il s’agissait d’établir un gouvernement, et non une gouvernance, pour prendre les décisions requises pour la stabilité monétaire, la croissance de l’économie et la prospérité. Ce gouvernement, conformément à l’esprit fédéraliste, ne devait donner que les axes et les normes sociales, fiscales et autres, laissant les États décider des formes d’application. Le président du gouvernement, ou Conseil exécutif, devait être élu par le Parlement européen. Cet organe, élu au suffrage universel, aurait eu un droit de contrôle sur le gouvernement, un droit d’initiative, et le budget européen devait être soumis à son approbation. Les entités fédérées, c’est-à-dire les États, auraient été représentées par un Sénat.

Ç’aurait été au président du gouvernement de choisir les ministres et non aux États – qui dans le système actuel désignent les commissaires, ce qui nous vaut d’en avoir vingt-huit, auquel il faut trouver une fonction.

Le malaise vécu par les peuples européens, cristallisé dans les populismes qui se développent dans tous les pays, se nourrit du fossé ressenti entre ce que les populations attendaient du projet européen et la perte de sens que leur montrent tous les jours ces réunions de politiques qui décrédibilisent le projet. Certes existe aussi, comme dans tous les moments de rapide changement, le besoin d’être conforté par un enracinement sécurisant. Le thème, extrêmement sollicité, de l’identité nationale relève de cette quête. Mais y a-t-il un régime politique plus attentif et ouvert au respect des identités que celui qui repose sur le principe de subsidiarité et qu’exprime l’article 2 du traité de Lisbonne :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » ?

Ce qui est certain, c’est qu’il reste un immense travail de pédagogie à mener. Nous ne ferons pas l’Europe fédérale, et donc démocratique, sans l’adhésion de ses citoyens. 

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