Arbre mutilé, maintenant sois libre !

Ils avaient empoigné tes branches
Pour les cingler et les briser ensemble
Par le calcul et la rigueur de leurs pesées ;

Ils les maintenaient en branle éperdu,
Ils les tourmentaient de durs élans captifs,
Ils se disputaient tes fruits et tes feuilles
Et jusqu’à tes nids !

Ils ont fait de toi pendant vingt saisons
Un arbre d’hiver et de quel hiver !
Le sol est jonché de tes frondaisons.
Ton écorce pend en lanières blêmes
Poisseuses partout de la même sève.

Mais maintenant, veuille revivre et libre !
Mais maintenant oh ! veuille te garder !
Ton faîte est brisé mais le tronc est fort,
Mais l’espoir est fort, mais la terre est riche.
Et vois tes bourreaux : leur œuvre n’a pu
Que précipiter leur décrépitude !

Arbre écartelé par leurs convoitises,
Tes bras déchirés, tes bras ennemis
Fais-les se nouer, se croiser, s’étreindre,
Se quitter, se tordre et se prendre encore
De telle façon que tu ne sois plus
Un déploiement de forces divergentes,
Mais un seul destin, un amour, un arbre !

Chants du désespéré, 1920
© Éditions Gallimard

En 1919, Romain Rolland invitait les intellectuels à prendre leurs responsabilités. Son manifeste paru dans L’Humanité rappelait combien ceux qui avaient mis leurs connaissances au service des propagandes avaient nourri les fléaux nationalistes. « Travailleurs de l’esprit, écrivait-il, nous vous adressons un appel pour reformer notre union fraternelle. » Parmi les premiers adhérents à cette arche d’alliance, figuraient Albert Einstein, Bertrand Russel, Stefan Zweig… et Charles Vildrac. Le poète et dramaturge avait déjà été du projet de l’Abbaye : entre 1906 et 1908, il faisait partie à Créteil d’un phalanstère de six artistes, vivant en commun du travail de l’édition. L’aventure fit grand bruit et influença les nombreux visiteurs par son humanisme simple et pratique. De même, les vers de Vildrac s’émancipent des carcans intellectuels et prosodiques. Le poème ci-dessus privilégie des décasyllabes, non rimés, à la césure après la cinquième syllabe, plutôt qu’après la quatrième.  De quoi atténuer le lyrisme au profit de la musique, et favoriser une proximité avec le lecteur, que renforce l’apostrophe. La symbolique de l’arbre apparaît dans d’autres poèmes pour désigner la foule des hommes. Vildrac y dénonce les « trafiquants du monde », qui prirent le matériel humain « comme on prendrait la menue-paille / pour nourrir un feu ». Européens d’aujourd’hui, tirez des leçons du passé ! Soupeser les intérêts capitalistiques ne suffit pas à unir les peuples. Engendrons mieux.

 

 

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