Les vieux socios du Barça s’en souviennent : parfois, quand un match semble perdu, il faut s’en remettre aux forces de l’épopée, appeler les héros – apelar a la épica – à grands cris, qu’elle vienne, cette dimension épique, sauver l’équipe de la défaite. Il faudra un sauvetage réellement épique pour que le Cafè del Centre ne ­rejoigne pas, dans ce ­combat qui oppose la ville au tourisme de masse, ses camarades tombés au champ d’honneur : les Quatre Gats, le Zurich, le Cafè de la Ópera, aujourd’hui absolument infréquentables, car fréquentés exclusivement par des êtres ahuris, en short et sandales de plage, observant, les yeux dans le vague, les somptueux décombres de ces établissements fantômes se refléter sur des menus en anglais-­allemand-français-italien. Le Cafè del Centre du Carrer de Girona, dans la Dreta de l’Eixample, doit sans doute le salut de son âme, contrairement à ce que son nom semble indiquer, à son léger éloignement des centres touristiques. ­Fondé en 1873, il a conservé le décor moderniste et le charme des établissements similaires de l’époque, le sol de carreaux de ciment, les colonnes, les boiseries, les peintures au mur, le long bar en bois sombre, le miroir. Mais surtout, au-delà du décor, il y survit un peu de cette vie barcelonaise que l’avalanche de touristes a déplacée ou détruite. Au Cafè del Centre on entend encore la mélodie de la ville, ses langues, on y croise des poètes mélancoliques qui se rappellent que Gil de Biedma y avait ses habitudes, des plombiers, des livreurs qui mangent un bikini, des journalistes du Periódico de Catalunya ; les dames du quartier prennent le relais des travailleurs ponctuellement à 17 heures et les noctambules viennent y boire un vermouth apéritif avant de se lancer dans l’exploration systématique de la nuit si brillante de ­Barcelone. 

69, Carrer de Girona

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