Barcelone, deuxième ville d’Espagne, grand port européen, revendique plus que jamais son statut de capitale de la Catalogne. Le gouvernement catalan, dirigé par Artur Mas, réclame l’indépendance et souhaite imposer le 9 novembre un référendum qui fait frémir Madrid. Solution à la crise économique pour certains, repli identitaire pour d’autres, les débats sont pimentés.

L’identité catalane semble échapper à toute définition précise. « Pour moi, elle se définit par un cadre : les traditions familiales, la langue, l’histoire… », nous dit Hèctor López Bofill, professeur de droit à l’université Pompeu Fabra de Barcelone et fervent soutien du mouvement indépendantiste. De son côté, l’écrivain barcelonais Enrique de Hériz a une perception tout autre de cette notion : « Pour moi, être Catalan ne signifie rien de spécial, sinon vivre et travailler en Catalogne. Je ne crois pas aux valeurs défendues par des groupes d’identités collectives. Mon identité, c’est avant tout de venir du Sud de l’Europe, d’être méditerranéen. C’est cela qui affecte mon style de vie. »

Depuis trois ans, la mobilisation des indépendantistes ne fait que s’accentuer. Le jour de la Diada – fête nationale de la Catalogne qui a lieu chaque 11 septembre – a rassemblé en 2013 1,6 million de personnes selon le gouvernement catalan, 600 000 selon le gouvernement central. Un sondage récent mettait en évidence que 60 % des Catalans étaient favorables à l’indépendance. Dans le contexte de crise économique, cette perspective apparaît comme la solution providentielle à tous les dysfonction­nements. « Nous voulons préserver notre santé économique, affirme Hèctor López Bofill. Nous estimons à 16 milliards d’euros la différence entre la somme que nous payons en taxes à l’Espagne et les fonds investis par l’État en Catalogne. » Dans ses campagnes, le CiU (Convergence et Union, premier parti politique de Catalogne) n’hésite pas à marteler cet argument : « L’Espagne subventionnée vit aux crochets de la Catalogne productiviste ». C’est pourtant sans compter que la création d’un État génère des dépenses considérables (équipements en tout genre, arsenal militaire…). « Avec la crise économique, le débat s’est accentué. Les Catalans peuvent avoir le sentiment que les régions pauvres du pays volent leurs richesses. C’est une réduction stupide et un argument politique très facile », observe Enrique de Hériz. Quant à la question de l’appartenance ou non à l’Union européenne, elle génère des scissions entre indépendantistes. « Il est essentiel d’appartenir à une organisation internationale », insiste Hèctor López Bofill. Pourtant, l’Union européenne avait précisé en septembre dernier que la Catalogne devrait sortir de la zone euro en cas d’indépendance et qu’elle serait un État « distinct » de l’Union. 

Afin de comprendre ce nationalisme grandissant, Enrique de Hériz est allé à la rencontre des Catalans pour les interroger sur leur désir d’indépendance. « Un peu comme dans les Lettres persanes de Montesquieu, j’essaye d’avoir un regard neuf et de prendre du recul. Je m’adresse aux gens dans la rue, dans les entreprises, dans les écoles… Et je réalise que personne ne sait exactement ce que serait un État catalan, en quoi cela consisterait. »L’État catalan serait-il d’abord une idée, l’utopie d’un ailleurs ? 

Malgré ces incertitudes, Artur Mas, est bien décidé à faire passer coûte que coûte un référendum. Mais cela n’est pas du goût de Mariano Rajoy, président du gouvernement central, qui juge cette mesure anticonstitutionnelle. Hèctor López Bofill ­s’insurge :« La question n’est pas de savoir pourquoi la Catalogne veut être indépendante, mais pourquoi elle ne l’est pas. Ce référendum offre, pour la première fois dans l’histoire, la possibilité d’obtenir l’indépendance sans passer par les armes. Nous n’avons pas de forces militaires, mais nous pouvons atteindre notre but par la démocratie. » Malgré l’interdiction de Madrid, les autorités catalanes ont affirmé qu’il se tiendrait de toute ­manière. « Si en Catalogne une majorité est pour l’indépendance, à Barcelone la majorité est pour le référendum. Je ne vois pas comment le gouvernement peut le refuser. Je pense qu’il doit avoir lieu, même si je trouve ridicule la question qu’il pose : Voulez vous que la Catalogne devienne un État ? Si oui, voulez-vous qu’il soit indépendant ? »

Aujourd’hui, le débat est animé à ­Barcelone. Dans la rue, il n’est pas rare de croiser des militants brandissant des drapeaux de la Catalogne. Si Hèctor López Bofill pense que l’indépendance « rendra la ville encore plus attractive et cosmopolite », Enrique de Hériz craint de son côté un repli. « J’ai peur que la ville devienne une enclave. Barcelone est déjà une ville un peu réduite à ses particularismes locaux. Avec l’indépendance, ce phénomène ne ferait que se renforcer. » 

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