« Comprenez-moi, M. Schneck, je ne fais pas cela de gaieté de cœur. Mais que voulez-vous, c’est mon rôle, et il est ingrat. C’est pour cela qu’on ne m’aime guère. On me déteste même ! Mais si, mais si, ne faites pas semblant. Je le sais. On me déteste… Je vous fais un petit café, M. Schneck ? Non ? Bon... Vous savez ce que quelqu’un m’a dit un jour qu’il était dans la même situation que vous, face à moi : “Dans DRH, il y a hache !” J’ai trouvé cela d’une violence, mais d’une violence !!! Vous savez comment certains m’ont surnommé ici ? “Guillotin” ! Si ! Si ! Comme si j’avais une tête de bourreau ! Comme si mon rôle se bornait à cela !

Dans d’autres entreprises où j’ai exercé, on m’appelait “le Dégraisseur”, “le Boucher”, “l’Équarrisseur”, et je vous passe les plus classiques “l’Ordure”, “la Sous-Merde”. Ah, M. Schneck, il faut avoir le cuir solide… Sans compter que nous sommes souvent exposés, physiquement j’entends. Nous sommes des cibles ! Certains d’entre nous ont payé de leur vie le fait d’exercer leur mission ! Vous vous rappelez ce fou qu’on avait surnommé “le tueur de DRH” ? Heureusement toutes les personnes dont nous traitons le cas n’en viennent pas à prendre les armes ! Mais je me suis personnellement fait insulter, cracher au visage ! Je me suis même fait bousculer, si, si, je vous assure ! Mais bon, je n’ai pas porté plainte, vous pensez bien. Dans “directeur des ressources humaines”, il y a “humaines”. “Humaines”, M. Schneck ! Je suis avant tout un être humain, comme vous. Nous sommes embarqués dans le même navire. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un petit café ? Ça vous ferait du bien, je vous trouve un peu pâle. Je disais quoi ? Ah oui, le navire. Vous faites de la voile ? Non ? Des croisières avec Mme Schneck ? Ah, j’ignorais. Je suis désolé. Mes condoléances. Mais vous n’avez que 58 ans, vous allez rebondir ! Et du canoë ? Vous avez bien dû faire du canoë un jour, en camp d’ados ? Ou du pédalo ? Pas même du pédalo ? Ah… Mais, rassurez-moi, vous visualisez le principe du bateau ? Vous le visualisez ? Très bien. Donc dans un bateau, il y a un équipage, plus ou moins nombreux, tout dépend de la taille du bateau évidemment. Quand la mer est calme, tout va bien, l’équipage est heureux, le bateau flotte, il fait beau. Chacun fait son travail à bord, certains coquins peuvent même parfois se planquer dans un coin et lever le pied en douce, si vous voyez ce que je veux dire. Mais imaginez un gros temps soudain, le bateau qui commence à se faire chahuter, l’équipage se mobilise, mais la mer se creuse de plus en plus, c’est la tempête qui s’annonce et, soudain, on se rend compte que le bateau n’est pas si solide que les investisseurs le pensaient, les vagues le cognent, il gémit, il craque, il résiste mais pour combien de temps ? Pour combien ? Et puis on découvre que certains membres de l’équipage n’ont pas vraiment les compétences requises pour faire face ou que, physiquement, ils ne sont plus au top, alors le capitaine, qui est obligé de prendre très vite des décisions radicales, n’entrevoit qu’une solution pour que le bateau ne coule pas, c’est de le délester un peu. On met les chaloupes à la mer, et on invite les membres d’équipage les plus fragiles à y prendre place… Et le bateau s’en sort, M. Schneck, il s’en sort ! Vous allez me dire, et les chaloupes ? Mais les chaloupes aussi s’en sortent, je peux vous l’assurer ! D’autres bateaux, en pleine forme ceux-là, les prennent en charge ! Et, au final, tout le monde est content. Allez, un petit café ! Oh si… pour me faire plaisir, M. Schneck ! Vous allez finir par me vexer ! Bon, moi j’en prends un. J’en ai vraiment besoin. Je suis sur le pont depuis 5 heures ! Oh qu’il est bon ! Oh putain qu’il est bon ce café ! Vous êtes en train de repenser à mon bateau, vous, j’en suis sûr. Vous tournez ça dans votre tête, vous essayez de... Bon, j’aurais pu prendre une image plus simple, un arbre, si vous préférez. Un arbre avec trop de branches, beaucoup, beaucoup trop de branches ! De la sève gâchée, perdue dans toutes ces branches, au détriment du tronc, le pauvre tronc, le pauvre petit tronc qui commence à souffrir ! Alors le bon pépiniériste, il fait quoi ? Hein, il fait quoi, M. Schneck, le bon pépiniériste du CAC 40 ? Eh bien il analyse la ramure, avec conscience, humilité, bienveillance et professionnalisme, et une fois son audit de ramure effectué, il sort sa tronçonneuse et paf ! paf ! paf ! et repaf ! Les branches surnuméraires ? Au sol ! Et déjà, la ramure respire mieux ! Les oiseaux chantent. Le soleil brille. On entendrait presque le tronc gémir de plaisir si on collait l’oreille contre son écorce ! Et l’année suivante, M. Schneck, l’arbre est magnifique : il a grossi, il est sain, il est vigoureux ! Et les branches coupées, me direz-vous ? Eh bien du bois, bien mort, et qui lorsqu’il sera bien sec fera le bonheur de quantité de cheminées à insert ! “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, disait Cuvier ! Comment ça, Lavoisier ? Lavoisier, vous êtes sûr ? Ah si vous voulez… Bon, on n’est pas à Questions pour un champion, revenons à nos moutons ! Repensez plutôt à la chaloupe, M. Schneck ! Ou à la branche qui repose à peine coupée sur l’herbe fraîche ! D’accord ? Dites-vous que vous permettez au bateau ou à l’arbre de continuer à vivre, à avancer, à grandir ! Allez, cette fois-ci, je ne vous demande même pas votre avis, je vous le fais ce petit café ! Comment ça, allez me faire enc… ? Non, mais M. Schneck, je ne vous permets pas !!! Je vous propose gentiment un café et vous… Vous savez à qui vous parlez tout de même ? Vous le savez !!! Vous savez que d’un claquement de doigts, je peux vous faire… Non mais je rêve… Je rêve ! MOI QUI NE VOUS VEUX QUE DU BIEN ! QUELLE INGRATITUDE M. SCHNECK !!! NON MAIS DANS QUEL MONDE ON VIT ! DANS QUEL MONDE ??? » 

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