C’est une petite usine normande, dont la fermeture n’aura pas l’écho des plans sociaux chez Michelin, Auchan ou ArcelorMittal. Un site industriel au nom joyeux, Europhane, qui depuis un demi-siècle fabrique des éclairages publics aux Andelys. Mais ce poumon industriel va s’arrêter, quelques mois après celui d’Holophane, l’autre usine de cette petite ville de l’Eure. Ainsi en a décidé Zumtobel, groupe autrichien au milliard d’euros de chiffre d’affaires, qui préfère délocaliser ses activités vers le Royaume-Uni ou la Serbie, laissant sur le carreau quatre-vingt-cinq emplois, des salariés de 54 ans en moyenne et sans grande perspective de reconversion.

Le cas d’Europhane n’est qu’un exemple malheureux des quelque deux cents plans sociaux en préparation à travers le pays – une véritable « saignée industrielle », selon l’expression de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui s’exprime pour la première fois dans nos colonnes. L’occasion, dans ce numéro du 1 hebdo, d’explorer les multiples visages du chômage en France, trop vite réduits à de froides statistiques. Certes, après avoir culminé au-delà des 10 % de 2012 à 2016, la courbe du chômage s’est bien inversée sous le mandat de François Hollande, avant d’engager une décrue quasi continue et d’atteindre 7,1 % à la fin de l’année 2022, un record depuis… 1982 ! Mais à quel prix ? L’explosion du nombre de contrats courts, de métiers précaires, de missions ubérisées, bref, des « miettes d’emploi », qui condamnent une partie de la population à des allers-retours entre emploi et inactivité. L’argument de la baisse du chômage était brandi pour justifier de telles fragilités. Est-il encore tenable si le chômage de masse repointe le bout de son nez ?

La France de 2024 peut, en réalité, faire songer au film Vice-versa des studios Pixar, et à sa cohorte d’émotions primaires : après la tristesse des européennes, la peur qui suivit la dissolution surprise, la joie durant la parenthèse olympique, vient aujourd’hui un sentiment de colère, après plusieurs mois de sidération et d’attente. Les revendications ne sont évidemment pas les mêmes dans les rangs des agriculteurs, chez les grévistes de la SNCF, au sein des services d’urgence ou auprès des cortèges de la fonction publique, qui ont appelé à une journée de mobilisation nationale le 5 décembre. Mais un même sentiment d’impatience et de frustration règne, face à une situation sociale dégradée et à une réponse politique en panne. Dans le film Vice-versa, la dernière des émotions primaires, qui accompagne la colère, est le dégoût. Dans la circonscription des Andelys, le Rassemblement national avait réuni plus de 45 % des voix au premier tour des législatives. 

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