Pourquoi le chômage va remonter
Temps de lecture : 7 minutes
Concernant le chômage en France, quel est votre diagnostic et quelles sont vos prévisions ?
Au troisième trimestre 2024, la France a un taux de chômage de 7,4 %, au sens du Bureau international du travail (BIT). À l’OFCE, nous anticipons qu’il va augmenter régulièrement pour atteindre 8 % à la fin de 2025. Il peut exister une « bonne » hausse du chômage – liée à une augmentation de la population active, par exemple –, et une « mauvaise » hausse – due à des destructions d’emplois. Nous nous situons clairement dans le deuxième cas de figure : de juillet à septembre, on a enregistré 25 000 destructions d’emplois dans le secteur privé, après 28 500 au trimestre précédent. Cela fait donc deux trimestres successifs que les entreprises suppriment des postes alors que la population active continue à s’accroître.
À quoi ces destructions d’emplois sont-elles dues ?
Aujourd’hui, ce n’est pas la croissance qui bascule : son taux en France – d’environ 1 % – est le même depuis trois ans. Le tournant se situe au niveau du marché du travail : ces dernières années, l’emploi tenait étonnamment bien, trop bien même, par rapport à l’activité. On se demandait pourquoi les entreprises créaient autant de postes… À présent, on observe un ajustement du marché du travail à l’activité économique.
Quelles sont les raisons de cet ajustement ?
Il y a trois facteurs principaux. En premier lieu, il y avait eu, les années précédentes, de nombreuses créations d’emplois dans l’apprentissage, grâce à des aides publiques très importantes, avec un total de 25 milliards d’euros par an en moyenne. Or le gouvernement a décidé de réduire ces subventions dans le cadre de l’effort budgétaire à venir. Cela ne créera pas de chômage, puisque les jeunes potentiellement concernés n’étaient pas encore sur le marché du travail, mais cela générera probablement des destructions d’emplois.
La deuxième raison vient du fait que, pendant la pandémie, on a maintenu en vie toutes les entreprises, y compris celles qui, si l’on peut dire, auraient dû faire faillite même s’il n’y avait pas eu de crise économique. D’après les calculs de l’OFCE, on a ainsi sauvegardé 180 000 emplois. Aujourd’hui, on assiste à un ajustement des effectifs à la réalité de l’activité, et ce phénomène n’est pas encore terminé. Le nombre de défaillances va donc continuer à augmenter. C’est normal, puisque à la situation habituelle – on compte, en moyenne, entre 55 000 et 60 000 faillites d’entreprise par an – s’ajoute cet effet de rattrapage.
Quel est le dernier facteur d’explication ?
Il est crucial : c’est la rétention de main-d’œuvre, qui a touché particulièrement le secteur industriel. Dans les enquêtes, les entreprises nous indiquaient garder des salariés car elles avaient des perspectives d’activité en hausse et des carnets de commandes pleins. Elles avaient des problèmes pour produire et non pour vendre. Elles gardaient des effectifs correspondant à ces anticipations d’activité très forte, en ayant recours aux dispositifs de chômage partiel et en utilisant l’inflation pour maintenir leurs marges. Aujourd’hui, les perspectives économiques sont plates et les carnets de commandes vides. Par conséquent, les entreprises arrêtent d’investir et d’embaucher et recourent à des plans sociaux pour ajuster leurs effectifs. À travers ces ajustements et ces plans sociaux, dans une certaine mesure, on paye la sortie du « quoi qu’il en coûte » mis en place pendant la pandémie.
La réforme des retraites contribue-t-elle à accroître le chômage ?
À court terme, elle aura une incidence sur le chômage, puisqu’elle va augmenter la population active de 0,3 % en 2025 alors que les difficultés des entreprises ne sont pas de recruter mais plutôt d’avoir davantage de commandes. Dans ce contexte et toutes choses égales par ailleurs, le taux de chômage aurait été de 7,7 % sans la réforme des retraites alors que, selon nos prévisions, il atteindra les 8 %.
Pourquoi les carnets de commandes sont-ils vides ?
Parce que l’on a un défaut de demande en France, de la part des Français mais aussi de l’extérieur du pays. L’explication tient à un taux d’épargne extrêmement élevé. Normalement, on observe un niveau d’épargne d’environ 250 milliards d’euros (soit 15 % des revenus). Or, aujourd’hui, il est de 511 milliards d’euros. Il y a donc une surépargne de 261 milliards d’euros, ce qui est gigantesque. Depuis la crise sanitaire, on continue à accumuler de l’épargne au-delà du comportement habituel. On retrouve cette situation dans tous les pays européens. Seuls les États-Unis, qui ont accumulé de la surépargne, se sont mis à la consommer petit à petit. En Europe, en dépit des plans de relance, une grosse partie de cette surépargne reste dans l’épargne et ne retourne pas dans la consommation. D’où un PIB et des carnets de commandes atones. Le gouvernement, dans ses prévisions, compte beaucoup sur la reprise de la consommation par une baisse de cette surépargne en 2025.
« On assiste à un ajustement des effectifs à la réalité de l’activité, et ce phénomène n’est pas encore terminé »
Partagez-vous les prévisions du gouvernement ?
Non, car, quand le taux de chômage augmente, les ménages épargnent davantage : c’est ce qu’on appelle l’épargne de précaution. Quand la confiance décroît ou que l’incertitude augmente, comme c’est le cas depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, il y a un comportement d’épargne qui est associé. Les discours sur les déficits publics qui doivent être réduits, sur les retraites qui ne seront pas financées ou sur la réforme du chômage incitent à un comportement de prudence, ce qui conduit à se tourner davantage vers l’épargne. En conséquence, la consommation et la demande sont faibles, et les carnets de commandes des entreprises ont donc tendance à être vides.
Y a-t-il une malédiction française qui empêche d’atteindre le plein-emploi ?
Il est plus difficile de faire baisser le chômage en France, où la population active est plus dynamique, que dans d’autres pays européens. En Allemagne, par exemple, on dénombre 250 000 actifs de moins chaque année car il y a plus de personnes qui partent à la retraite que de jeunes qui entrent sur le marché du travail, du fait d’une population particulièrement vieillissante. À mon sens, si le chômage augmente en France aujourd’hui, c’est pour des raisons conjoncturelles.
La hausse du chômage n’est-elle pas le résultat des choix de politique économique d’Emmanuel Macron ?
Il y a eu deux temps dans la politique économique d’Emmanuel Macron. Avant la pandémie, il a misé sur une baisse de la fiscalité des entreprises et des ménages, centrée sur les plus riches, dans une perspective dite de « ruissellement ». L’idée était que l’argent ainsi économisé pourrait aller à l’investissement et boosterait la compétitivité et la productivité des entreprises françaises. Or ce « choc de l’offre » n’a pas fonctionné. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que le déficit public a augmenté à cause d’une réduction des recettes fiscales (- 3 points de PIB) alors que les dépenses sont restées dans les mêmes proportions. Ensuite, la politique menée pendant et après la pandémie – le « quoi qu’il en coûte » – a été bien réalisée. Néanmoins, dans les mois qui ont suivi, le recours au bouclier énergétique pour lutter contre l’inflation est plus critiquable : la France a fait le choix de bloquer l’inflation pour tout le monde, même pour celles et ceux qui n’en avaient pas besoin. À l’inverse, l’Allemagne a décidé de faire des chèques ciblant les personnes pour qui cette aide représentait le plus une nécessité. Or ce choix a contribué à creuser le déficit de la France sans que les Français en aient mesuré les gains.
Qu’en est-il de la politique à venir de réduction des dépenses publiques ?
Les coupes budgétaires prévues dans le projet de loi de finances 2025 vont toucher la politique de l’emploi, notamment par la réduction des aides à l’apprentissage ou par la réforme des allègements de cotisations patronales. Cela va contribuer aux destructions d’emplois que nous avons déjà évoquées. Mais plus généralement, selon nos prévisions, la politique budgétaire d’austérité annoncée devrait pénaliser la croissance de 0,8 point de PIB, ce qui contribue à créer un climat morose pour les ménages, qui vont continuer à épargner, et pour les entreprises, qui ne vont ni embaucher ni investir. Le fait de devoir aujourd’hui se lancer dans une politique de réduction du déficit est un aveu d’échec de la politique économique menée jusqu’à présent.
La Banque de France prévoit que le chômage reflue en 2026, partagez-vous ce diagnostic ?
Je ne pense pas que l’activité repartira en 2026 car les freins sont trop forts. Le déficit public, que l’on estime à 5,3 % du PIB en 2025, sera encore élevé et nécessitera encore de gros efforts budgétaires. Par ailleurs, je ne pense pas que la baisse des taux d’intérêt sera aussi importante que prévu, à cause de l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, dont la politique économique va relancer l’inflation. Nous allons entrer dans un moment de guerre commerciale accentuée, et je ne vois pas comment celle-ci permettra de relancer l’activité en Europe et en France.
Propos recueillis par CLAIRE ALET
« Il faut un moratoire sur les licenciements »
Sophie Binet
Dans ce premier entretien accordé au 1 hebdo, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet exprime son inquiétude sur la situation sociale française, mais sans se résigner au fatalisme. Au contraire, elle appelle l’État à rompre avec une politique de dumping au profit des seules multina…
[2032]
Robert Solé
L’élection présidentielle de 2032 se jouera sur la question du travail et la lutte contre le chômage.
Pourquoi le chômage va remonter
Éric Heyer
Pour l’économiste Eric Heyer, la hausse du chômage s’explique d’abord par des raisons conjoncturelles. Toutefois, l’austérité budgétaire prônée par le gouvernement en place acte l’échec de la politique du « choc de l’offre » menée par ses prédécesseurs. Elle ne devrait cependant rien arranger sur…