Le Monomotapa était un royaume africain, suffisamment exotique pour ressembler à un pays imaginaire. C’est donc dans un monde fabuleux que La Fontaine situe ces deux amis exemplaires. Le fabuliste a chanté l’amour, sa folie et ses mystères. Mais jamais sollicitude fut plus réciproque que celle de ses deux amis. 

 

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :

L’un ne possédait rien qui n’appartînt à l’autre :

Les amis de ce pays-là

Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s’occupait au sommeil,

Et mettait à profit l’absence du soleil,

Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ; 

Il court chez son intime, éveille les Valets :

Morphée avait touché le seuil de ce palais.

L’ami couché s’étonne, il prend sa bourse, il s’arme ;

Vient trouver l’autre, et dit : « Il vous arrive peu

De courir quand on dort ; vous me paraissez homme

À mieux user du temps destiné pour le somme :

N’auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?

En voici. S’il vous est venu quelque querelle,

J’ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point

De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle

Était à mes côtés ; voulez-vous qu’on l’appelle ?

– Non, dit l’ami, ce n’est ni l’un ni l’autre point :

Je vous rends grâce de ce zèle.

Vous m’êtes en dormant un peu triste apparu ;

J’ai craint qu’il ne fût vrai, je suis vite accouru.

Ce maudit songe en est la cause. »

Qui d’eux aimait le mieux ? Que t’en semble, lecteur ?

Cette difficulté vaut bien qu’on la propose.

Qu’un ami véritable est une douce chose !

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur 

De les lui découvrir vous-même.

Un songe, un rien, tout lui fait peur

Quand il s’agit de ce qu’il aime.

 

© Fables choisies et mises en vers, livre VIII, fable xi, 1678

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