Les copains et les copines d’abord
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Les études statistiques sur l’amitié sont pareilles aux nouvelles rencontres passé quarante ans : rares, mais précieuses. En 2000, l’institut Ipsos relevait ainsi dans un sondage que 30 % des Français déclaraient ne pas avoir plus de deux amis, quand 16 % en avaient plus d’une dizaine. Et si, pour la majorité de nos concitoyens, l’amitié se fondait avant tout sur les valeurs communes et l’entraide (plutôt que sur l’âge ou la confidence), elle n’était pas pour autant à toute épreuve : 16 % des personnes sondées refuseraient par exemple de prêter leur voiture à un ami ! En revanche, 12 % seraient prêts à sacrifier une relation amoureuse, et 27 % à changer radicalement de façon de penser au nom de l’amitié…
Un quart de siècle plus tard, les résultats seraient-ils les mêmes ? L’essor des réseaux sociaux et le repli domestique après la pandémie sont passés par là. #MeToo et la polarisation idéologique aussi. Autant de phénomènes dont nos interactions sociales ne sont pas sorties indemnes. Mais alors que les études pullulent sur les nouvelles façons de faire famille, les bouleversements amoureux dus aux rencontres en ligne ou l’évolution des rapports au travail, l’amitié, elle, reste encore ce parent pauvre de nos relations, que Jules Renard aimait moquer en n’y voyant qu’un « oiseau d’amour à la queue coupée ». Est-ce la simple réalité d’une relation affective somme toute secondaire ? Ou y a-t-il là une question plus politique, qui tient à la hiérarchie sociale imposée par la société elle-même à nos amitiés, face à la prééminence du couple ou de la famille ? Car, même pour ceux qui crient bien haut « les copains (et les copines) d’abord ! », il n’est pas évident de faire reconnaître d’autres façons de cheminer dans l’existence – en témoigne le traitement réservé aux amis à l’hôpital, dans la réglementation sociale ou la législation fiscale…
Autour de l’historienne Anne Vincent-Buffault, de l’anthropologue Robin Dunbar ou encore de la sociologue Marie Bergström, ce numéro du 1 hebdo se penche donc sur la place prise par nos amitiés dans nos vies, pour comprendre la singularité de cette relation et du soin aux autres qu’elle implique. Bien sûr, parler d’amitié alors que la guerre toque à notre porte, et que la planète semble hésiter entre cinquante nuances d’autoritarisme, pourrait paraître dérisoire. Il y a pourtant une forme de salut à trouver dans ces attachements, qui sont autant de béquilles pour mieux vivre dans un monde où tout vacille. « Un ami est quelqu’un qui sait tout de vous et vous aime quand même », disait le philosophe américain Elbert Hubbard. Ce n’est pas trop demander par les temps qui courent.
« L’amitié peut représenter une forme d’utopie politique »
Anne Vincent-Buffault
L’historienne Anne Vincent-Buffault nous raconte les métamorphoses de l’amitié à travers les siècles, de l’Antiquité grecque à nos jours, en passant par la Révolution. Elle montre que si le mot a traversé les âges, ses expressions et les attentes qu’il a suscitées ont beaucoup varié, jusqu’au « s…
[Faux-amis]
Robert Solé
COMBIEN ai-je d’amis ? Dix ? Vingt ? Cent ? Deux cents ? Je serais bien en peine de le dire. Et, d’abord, qu’est-ce que l’amitié ? Il n’y a pas seulement toute une gradation entre connaissance, camarade, copain ou copine, pote, complice, confident ou confidente et alter ego « à la vie, à la mort …
« Des liens ancrés dans notre biologie »
Robin Dunbar
La biologie évolutive, explique l’anthropologue Robin Dunbar, nous en dit beaucoup sur l’amitié et la manière dont elle naît, se développe et s’entretient. Il en décrit ainsi les « sept piliers » et le fonctionnement par cercles, des intimes aux connaissances.