Connue sous le surnom de Boko Haram (« l’éducation d’inspiration occidentale est un sacrilège »), la « Congrégation des compagnons du Prophète pour la propagation de la tradition sunnite et la guerre sainte » est une secte née au début des années 2000 dans la région nigériane du Borno, frontalière du Cameroun, du Tchad et du Niger. Sous l’égide d’un prêcheur charismatique, Mohamed Yusuf, le mouvement demande alors une application stricte de la charia et l’instauration d’une théocratie. Comme d’autres groupes salafistes, il refuse de placer la loi de Dieu sous la tutelle d’une constitution écrite par la main de l’homme – en l’occurrence, une constitution qui, dans le cadre de la République fédérale du Nigeria, proclame la liberté de religion.

Très radicaux, les fidèles de la secte s’opposent parfois aux forces de l’ordre. Mais en 2009, l’assassinat de Mohamed Yusuf par la police nigériane exacerbe les tensions. Repris en main par Aboubakar Shekau, le mouvement, qui avait pignon sur rue, entre dans la clandestinité et bascule dans la violence terroriste. C’est après la répression militaire de 2009 que Boko Haram commence à monter des attentats-suicides et à s’en prendre aux minorités chrétiennes de la région tout en continuant d’attaquer ses principales cibles : les « mauvais » musulmans, accusés de ne pas appliquer correctement la charia et d’être pervertis par les idées occidentales.

Aujourd’hui, la secte est perçue comme un groupe terroriste qui chercherait à copier Al-Qaïda ou Daech pour étendre son emprise territoriale vers les pays voisins du Nigeria. Mais les dynamiques du conflit demeurent surtout locales. Quoi qu’il en soit de ses pratiques terroristes et criminelles, Boko Haram reste en effet une secte qui compte des fidèles et dispose d’une véritable base sociale. Il ne s’agit pas seulement d’un groupe de combattants composés d’hommes et, depuis à peu près un an, de femmes chargés de commettre des attentats-suicides et de participer aux assauts contre les positions de l’armée nigériane ou les villages de miliciens.

De fait, on ne peut pas comprendre l’ancrage de la secte si on s’en tient à une lecture purement terroriste d’un mouvement qui, selon la propagande des autorités, recruterait uniquement ses troupes de force ou en payant des mercenaires avec l’argent des usual suspects saoudiens, qataris ou libyens. À cet égard, les lobbies sécuritaires qui appellent à une intervention militaire dans la région n’en sont pas à une contradiction près. Côté nigérian, on estimait ainsi qu’en 2012, le groupe disposait de 500 à 1 000 combattants permanents, sans compter sa capacité à mobiliser des auxiliaires. Après l’instauration d’un état d’urgence et le début d’une offensive militaire dans les campagnes du Borno en 2013, les mêmes sources sécuritaires ont ensuite évoqué un chiffre de 4 000 hommes en armes. Aujourd’hui, on parle de 8 000, voire 10 000 combattants aguerris.

Autrement dit, plus on a musclé la répression contre Boko Haram, plus ce groupe s’est renforcé. Un tel constat devrait amener à questionner les mérites des solutions militaires que préconisent les pays de la région. Les exactions de l’armée nigériane ont fait le jeu des djihadistes et suscité l’hostilité des populations civiles, qui ne coopèrent pas ou peu avec des gouvernements perçus comme illégitimes. À présent, il est à craindre que les insurgés parviennent à recruter de nouveaux membres parmi les déplacés internes et les réfugiés qui ont dû fuir la brutalité des forces de l’ordre, et pas simplement de la secte. Réduire Boko Haram à une bande de fous furieux manipulés par de lointains sponsors arabes, c’est méconnaître la complexité sociale de l’ancien empire du Borno, qui s’étendait bien au-delà des actuelles frontières du Nigeria.

Dans les contreforts des monts Mandara à la lisière du Cameroun, par exemple, les insurgés se sont immiscés dans les conflits des chefferies locales et ont su s’attirer la sympathie de certains musulmans en leur redistribuant les champs laissés vacants après la fuite des communautés animistes ou chrétiennes. Les terres arables sont très convoitées par les paysans du cru, car les piémonts de ces régions escarpées de l’Adamawa connaissent des densités de population pouvant dépasser la centaine d’habitants au kilomètre carré. Au nom des idéaux collectivistes de la charia, les fidèles de Boko Haram ont ainsi entrepris de mettre en œuvre une sorte de réforme agraire religieuse. Partant, ils ont réglé d’un seul coup les vieilles disputes foncières et coutumières à propos des jachères et des droits d’usage qui devaient être renégociés chaque année.

Mais évidemment, de telles histoires paraissent bien prosaïques. L’invocation d’Al-Qaïda ou de Daech se vend tellement mieux dans les médias.  

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