« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », écrit Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire, au sein d’un chapitre sur « L’ethnocentrisme » – le fait de juger l’autre selon ses propres critères culturels. « Barbare », le mot est utilisé abondamment ces derniers temps. La phrase de Lévi-Strauss ne cherche pas qui est barbare. C’est le verbe qui compte : « croire à la barbarie », c’est-à-dire penser que cette dernière existe. Juger l’autre et l’exclure de l’humanité. Qui parle de « barbarie » aujourd’hui ? Le mot a récemment servi de fondement à la mobilisation pour affirmer une réprobation, un rejet. Il marque les valeurs d’un collectif et la limite de ce qu’il accepte. Mais il témoigne également d’une incompréhension, d’une stupeur. D’une incapacité à comprendre. Moment d’effroi, d’arrêt. De blanc…

 

[blanc]

 

C’est à partir de là que naît le travail. Surmonter le jugement de barbarie. Se reprendre, éviter d’appliquer des pensées déjà connues à ces pratiques jugées « barbares ». Les comprendre dans leur spécificité, dans leur logique, malgré la répulsion. Se forcer à analyser, à mener l’enquête de terrain (au sens des sciences sociales), à faire un cheminement intellectuel pour penser du nouveau, à s’altérer pour essayer de considérer autrement ces pratiques. On ne peut pas reprendre les habitudes, le fonctionnement quotidien, la routine. Il s’est passé quelque chose. Il contraint, ce blanc, cet effroi. Avec lui, toujours près de lui, à force de travail, pensons des choses nouvelles, accouchons d’autre chose. Reprenons des forces de pensée, pour mieux reprendre pied face à l’innommable initial. 

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