Maintenant que la marche triomphale a regagné les derniers coins de rue,
Souvenez-vous, ô danseurs, du tonnerre dans les nuages…

Maintenant que les rires brisés restent suspendus en tremblotant à vos dents,
Souvenez-vous, ô danseurs, des éclairs au-delà de la terre…

Une odeur de sang se dégage déjà de la brume lavande d’après-midi.
La condamnation à mort se tient en embuscade le long des couloirs du pouvoir ;
Et une chose, grande et effrayante, tire déjà les câbles du grand air,
Une nébuleuse immense, incommensurable, une nuit d’eaux profondes –
Un rêve de fer innomé et qu’on rougirait de publier, un chemin de pierre ;

La tête assoupie de follicules retrouvée dans des champs arides en est témoin,
Les fermes abandonnées au feu de joie de ce siècle en sont témoins
Les myriades d’yeux des épis de maïs abandonnés dans des granges en feu en sont témoins :
Des oiseaux magiques dont les plumes sont parées d’éclairs miraculeux…

Les flèches de Dieu tremblent aux portes de la lumière,
Les tam-tams du couvre-feu se prêtent à une danse de mort ;
La chose secrète qui s’élève parée d’un masque de fer menace
La dernière torche allumée du siècle…

 

Traduit de l’anglais par Daniel Vignal
Extrait de Poésie d’Afrique au sud du Sahara : 1945-1995, édition de Bernard Magnier, Actes Sud, 1995

 

Oublions les trop faciles distinctions entre poésie engagée et poésie ésotérique. L’œuvre de Christopher Okigbo se confronte au seul mystère : le cycle de la vie et de la mort. Elle n’en est pas moins inscrite dans l’histoire du Nigeria post­colonial. En 1965, Labyrinthes regroupait en un court volume différentes plaquettes, témoignages d’une quête spirituelle entre modernisme occidental et mythologie africaine. Le poète refusait toutes les étiquettes, y compris celle de la négritude. Avec les six poèmes suivants de Chemin du tonnerre, il se voulut pourtant crieur public prophétisant la guerre : porte-parole, pourquoi pas, d’une collectivité. Dans les vers ci-dessus, il appelle de ses vœux le tonnerre, objet de crainte et de fascination. Les danseurs sont convoqués à une cérémonie funèbre. Que d’adjectifs pour approcher, sans le nommer, le terrifiant secret du pouvoir et de la violence. Les décevantes manœuvres politiciennes après l’indépendance, les champs arides, les fermes abandonnées sont des réalités apocalyptiques vécues, qui contrastent avec la douceur d’une brume étonnamment lavande, le flamboyant miracle des plumes des oiseaux. La nature entière attend et regarde dans une symphonie d’images. Tant cette force meurtrière semble moins appartenir à l’homme, absent, qu’à un principe primordial. Comme les coups d’État succèdent aux coups d’État, une nouvelle étoile remplace chaque étoile disparue. En 1967, Christopher Okigbo mourait au combat, engagé volontaire au service du Biafra. 

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