Si la dignité est parfois présentée comme une notion complexe, c’est parce qu’on demande rarement à celles et à ceux dont elle est bafouée de la définir. Si on le faisait, on comprendrait qu’elle peut s’exprimer en des termes simples. Les militants Quart Monde, membres d’ATD Quart Monde qui vivent dans la grande pauvreté, en saisissent ainsi l’expérience concrète : « La dignité, c’est quand les gens ont du respect pour nous » ; « C’est quand on nous écoute, qu’on n’est pas invisibles ».

Ma conviction est que, loin d’être une notion vaine ou floue, comme on le dit parfois, elle est d’une très grande simplicité : chacun a la même valeur dans la société et peut se prévaloir des droits fondamentaux sans distinction. La dignité ne se mérite pas.

Je pense au silence, à l’absence de réponse des administrations qui entraînent la résignation, le non-recours, la perte de droits et, trop souvent, l’humiliation.

Il est très rare que les personnes qui s’adressent au Défenseur des droits formulent leurs réclamations en termes d’atteinte à leur dignité. Pourtant, à chaque fois qu’elles ont été déconsidérées, discriminées, maltraitées dans leurs démarches – et c’est souvent le cas – de telles atteintes étaient avérées.

Je pense au silence, à l’absence de réponse des administrations qui entraînent la résignation, le non-recours, la perte de droits et, trop souvent, l’humiliation.

Je pense aux milliers d’élèves qui n’étaient toujours pas affectés dans un lycée après la rentrée et ont passé l’été à s’interroger sur la place qu’on leur ferait dans le système scolaire.

Je pense encore aux maltraitances subies par des résidents d’Ehpad.

Je pense aux jeunes victimes de harcèlement scolaire.

À travers ces réclamations, il est possible de dessiner, en creux, ce que signifie la dignité dans les conditions concrètes de la vie, à travers trois verbes : reconnaître, rendre égal, libérer.

Si la dignité « égalise », cela ne signifie pas qu’elle aplanit toute différence, mais qu’elle les rend sans incidence sur les droits fondamentaux. 

D’abord, la dignité se reconnaît. Or, reconnaître en toute personne cette valeur inestimable, c’est commencer par prendre en considération ce qu’elle est et ce qu’elle exprime. Exactement ce que demandent la majorité des personnes qui nous saisissent. Fatiguées, éprouvées, les personnes qui ont tenté de faire valoir leurs droits auprès d’une administration nous expliquent souvent qu’elles ont eu le sentiment de n’avoir été ni écoutées ni considérées, mais, au contraire, malmenées, voire humiliées. Ce sentiment, c’est aussi celui qui imprègne l’expérience de la pauvreté, comme l’a montré une étude menée par ATD Quart Monde et l’université d’Oxford en 2016. À côté des privations matérielles étaient ainsi identifiées comme constitutives de la pauvreté des dimensions relationnelles et notamment l’expérience de la maltraitance, sociale ou institutionnelle. À cet égard le discours qui accompagne la réforme du RSA nous éloigne de la considération. Un discours visant, nous dit-on, à « remobiliser » les personnes qui le perçoivent. Avec une sanction, qui est la suppression d’un minimum pour vivre, appelée « suspension-remobilisation ». Ces termes sont à la fois une atteinte symbolique et une dérive sémantique.

Une fois reconnue, la dignité rend égal. C’est ce qu’établit la Déclaration universelle des droits de l’homme, à travers la définition d’une égale dignité. Si la dignité « égalise », cela ne signifie pas qu’elle aplanit toute différence, mais qu’elle les rend sans incidence sur les droits fondamentaux. Ainsi, le droit d’être respecté et de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant bénéficie inconditionnellement à toute personne, quelle que soit sa situation, car il est indissociable de la reconnaissance d’une égale dignité.

Enfin, reconnue également à toute personne, la dignité libère. Dès lors qu’à chacun est reconnue une dignité égale à celle de toute autre, il devient impossible de l’assigner à une appartenance pour justifier un traitement défavorable. Les discriminations, dont les études montrent qu’elles sont très présentes dans notre pays, sont autant d’attaques frontales à la reconnaissance d’une égale dignité.

Socle de l’édifice des droits, la dignité est un repère réaffirmé dès la Seconde Guerre mondiale terminée, elle est au cœur de l’action de l’institution du Défenseur des droits et devrait être au centre de nos politiques publiques. 

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