Le placement sous écrou est loin d’être la seule des formes que revêt de nos jours, sur le territoire français, la privation de liberté. Parmi les lieux de privation de liberté autres que les centres pénitentiaires figurent des établissements tels que les centres de rétention administrative conçus pour détenir des personnes étrangères en situation irrégulière (par exemple, celui de Coquelles, proche de la « jungle » de Calais), les zones d’attente aéroportuaires détenant des arrivants avant leur entrée sur le territoire (avec un quasi-monopole en ce domaine d’Orly et de Roissy), les centres éducatifs fermés pour mineurs ou, plus familiers du public parce qu’objets d’une médiatisation plus intense, les locaux de garde à vue et les cellules de dégrisement dans les commissariats et gendarmeries, sans oublier l’entière gamme des lieux de soins psychiatriques non ambulatoires, depuis les complexes hospitaliers classiques jusqu’aux unités pour malades difficiles (UMD) particulièrement sécurisées. Encore ce pénible inventaire reste-t-il incomplet.

Dans chacun de ces types d’établissements, les questions liées à la dignité des personnes se posent avec acuité. Depuis 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) veille à ce qu’y soient respectés les droits fondamentaux. Ses missions sur le terrain se traduisent, dans des rapports disponibles en ligne, par l’observation de certains manquements, petits ou grands, mais toujours significatifs.

Anticiper la remise en liberté, permettre que le retour à la vie active se fasse dans des conditions favorables, reste considéré comme une sorte de luxe

Des questions particulières se posent dans les prisons, espaces par excellence de la privation de liberté, mais il importe de souligner la diversité des réalités que recouvre ce terme. Une maison d’arrêt – dans laquelle des prévenus, en l’attente de leur procès, côtoient des personnes condamnées dont la remise en liberté est proche – possède des caractéristiques différentes de celles d’un centre de détention – où sont détenues des personnes que l’on estime présenter de bonnes perspectives de réinsertion –, lequel diffère lui-même d’une maison centrale au régime sécuritaire strict, destiné à prévenir les violences et les évasions.

Se révèlent donc diverses problématiques liées à la dignité des personnes. Dans les maisons d’arrêt, par exemple, le statut des prévenus, maintenus dans l’attente que la justice se prononce sur leur sort, les rend vulnérables : que leur détention provisoire s’éternise, et c’est une personne présumée innocente que l’on enferme, sans lui donner les moyens de savoir à quelle échéance elle sera jugée. Plus l’incarcération dure, plus l’existence du prévenu se délite. Sans horizon autre qu’une hypothétique comparution, le risque suicidaire est démultiplié.

À un autre niveau, l’indignité provient de l’écart entre des ambitions parfois hautes et les moyens alloués aux établissements. Dans une doctrine sédimentée par la théorie et par la pratique juridico-judiciaires, la signification d’une peine dessine un triangle dont les côtés sont la sanction (infliger une punition dont la teneur est déterminée par une sentence), la protection de la société (éloigner une personne jugée dangereuse, menaçante pour l’ordre social) et la réinsertion (préparer son retour à la vie libre). Le fait est pourtant que, dans les prisons françaises, à l’heure actuelle, le dernier côté du triangle, celui de la réinsertion, reste sous-doté, sous-valorisé par rapport aux deux premiers. Anticiper la remise en liberté, permettre que le retour à la vie active se fasse dans des conditions favorables, autorisant à trouver un emploi et à se fondre dans une sociabilité apaisée reste considéré aujourd’hui, en France, comme une sorte de luxe, un cadeau que l’on ferait aux personnes détenues. Ce cadeau, l’administration pénitentiaire apparaît comme libre de l’offrir ou non, en fonction des moyens dont elle dispose ; or ils manquent.

C’est également vrai des obligations de soins post-carcéraux, par exemple pour sevrage toxicologique, souvent prises en charge à leurs frais par d’anciens détenus alors que ce type de suivi, intégré dans la trajectoire judiciaire puisqu’il fait l’objet d’une décision contraignante, pourrait être organisé par la puissance publique. L’apparent désir de responsabiliser des personnes toxicodépendantes occulte qu’elles sont livrées à elles-mêmes, dans un contexte où l’offre en addictologie est partout insuffisante.

Autant les protocoles de réinsertion font figure de parents pauvres, autant restent vifs et l’intérêt porté aux programmes de lutte contre la violence intracarcérale et l’engouement pour les statistiques de la récidive. C’est en termes de dangerosité, de risques criminologiques, de peurs, de crainte que l’on appréhende la trajectoire des personnes détenues. L’exercice d’un travail manuel en détention, mal encadré par une législation misérable, s’assimile alors à une façon d’occuper des fauves.

À peu de chose près, il en va de même des activités culturelles (bibliothèque, théâtre, ateliers de création) et des programmes d’enseignement. Même si parfois leur qualité, l’engagement d’acteurs institutionnels et extra-institutionnels ou la motivation de leurs premiers bénéficiaires permettent d’heureuses exceptions.

La condition carcérale se réduit néanmoins, dans sa grande généralité, à l’obligation faite au sujet de réduire son existence à la satisfaction de besoins vitaux : le sommeil, la nourriture, la promenade ou le sport rythment une journée. Bien que les personnes détenues restent des sujets de droit, les ressources juridiques qu’ils peuvent mobiliser contre d’éventuels abus restent minces. Chacun garde le sentiment de ne pouvoir compter que sur lui-même, et notamment sur ses propres capacités à négocier des compromis. Dans ce contexte précaire, que des variables conjoncturelles deviennent structurelles (une surpopulation induisant la promiscuité, des canicules frappant un bâtiment mal isolé…), et la privation de liberté devient une privation de dignité. 

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