Rappelez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps. Le silence des rues. La tranquillité des boulevards. Le repos des places. Pendant quelques semaines au printemps 2020, au plus fort de la pandémie de Covid, nos villes s’étaient tues, délivrées du bourdonnement des automobiles, du vacarme des marteaux-piqueurs, du rugissement des grosses cylindrées. Au cœur du drame sanitaire, il y a eu cet étrange sentiment d’apaisement, cette quiétude inédite qui a permis à beaucoup – humains comme animaux d’ailleurs – de redécouvrir les vertus du silence.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le monde d’avant a repris ses droits avec éclat. Partout, les sons semblent avoir envahi l’espace et contaminé notre environnement, des musiques d’ambiance des supermarchés aux vidéos écoutées à plein volume dans les transports publics, des appels au milieu des open spaces aux soudains braillements des publicités. Si le quotidien de nos villes est moins bruyant que par le passé, comme le rappelle l’historien Alain Corbin dans l’entretien passionnant qu’il nous a accordé, elles n’en sont pas plus silencieuses pour autant, avec l’irruption de sons plus tôt, plus tard, et jusqu’au cœur de l’espace privé. Car nous-mêmes, comme la nature, avons horreur du vide, et participons à le remplir de nos décibels dès que nous le pouvons, radio allumée ou casque vissé sur les oreilles, comme si le silence pouvait être sujet d’inquiétude.

« Parce que nous avons permis à notre attention d’être transformée en marchandise, il nous faut désormais payer pour la retrouver. »

Est-il encore possible alors de s’extraire du tintamarre ambiant ? Dans un essai paru en 2015, Contact : pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver, le philosophe Matthew B. Crawford revient sur ce bruit incessant qui parasite nos vies, cette interpellation permanente qui éloigne de nous la possibilité de l’écoute et de la concentration. Il rappelle notamment que dans les salons « classe affaires » des aéroports, le silence règne comme un produit de luxe, sans le brouhaha des écrans et la cacophonie des réclames. Et l’auteur – lui-même réparateur de motos – d’ironiser sur ce nouveau marché du silence, décliné en retraites, stages et ateliers de méditation. « Parce que nous avons permis à notre attention d’être transformée en marchandise, il nous faut désormais payer pour la retrouver. »

Ce numéro du 1 hebdo vous propose d’explorer – à bas bruit, bien sûr ! – les questions individuelles et sociales que pose l’inflation sonore de nos sociétés, qui est aujourd’hui, après les gaz et particules qui contaminent l’air, la deuxième plus grave source de pollution environnementale en Europe. Il dessine, aussi, une série de pistes pour s’aménager des plages de silence quotidiennes, au contact de la nature ou en acceptant la déconnexion. Histoire de retrouver un peu de douceur, dans un monde de « chut ! ».