Il y a tout juste vingt ans, Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de la présidentielle, à la surprise générale. Dans les jours qui suivirent, des manifestations furent organisées dans toute la France, ses idées et ses valeurs largement dénoncées, et le président du Front national se voyait écrasé le 5 mai avec plus de 82 % des voix contre lui.

Vingt ans plus tard, sa fille est en finale pour la deuxième fois consécutive, et l’effet de surprise a disparu – ce qui en dit long sur la pénétration des idées d’extrême droite au sein de la population. En 2017, Marine Le Pen avait rassemblé près de 34 % des suffrages sur son nom, un score qu’elle pourrait largement dépasser cette année. Jusqu’à atteindre la majorité ? Verdict dimanche soir.

Mais le simple constat d’un scrutin beaucoup plus serré qu’il y a cinq ans traduit bien la polarisation du pays, déchiré entre un président à la vision libérale et européiste, et la candidate du Rassemblement national, parti dont le changement de nom n’a pas gommé ses fondations xénophobes et autoritaires. D’autant qu’à cette fracture politique se superpose une autre, sociologique et culturelle, entre deux électorats que tout oppose : d’un côté, une population diplômée, plutôt citadine, souvent épargnée par les fins de mois difficiles ; de l’autre, une France plus modeste, laborieuse, originaire des habituels bastions de l’Est et du Nord mais aussi, désormais, de l’ancienne « diagonale du vide ».

C’est le propre des scrutins majoritaires de favoriser les lectures binaires, le blanc ou le noir, le tout ou rien

C’est ce choc de deux France, front contre front, qu’explore ce numéro du 1 hebdo. Deux, seulement ? Ce serait oublier un peu vite la France qui s’est abstenue, ou celle qui a voté Mélenchon. La mosaïque hexagonale est, bien sûr, plus complexe et ne saurait se restreindre au tête-à-tête entre des camps qui, au premier tour, n’ont réuni ensemble qu’un gros tiers des inscrits.

Mais c’est le propre des scrutins majoritaires de favoriser les lectures binaires, le blanc ou le noir, le tout ou rien. Le vote ne laisse pas de place à la nuance, pas plus que le résultat. Et dimanche soir, un seul candidat l’emportera. À qui les Français vont-ils dès lors confier les rênes du pays ? Le choix offert a au moins le mérite de la clarté, entre des visions du monde antagonistes, entre des conceptions différentes de l’Europe, de l’écologie, de la démocratie. Pour les départager, la participation sera l’un des facteurs clés. Il sera toujours temps, ensuite, de tirer les leçons de cette élection et de répondre, enfin, à cette colère qui pousse l’extrême droite chaque fois plus près du pouvoir. À chacun sa responsabilité.