Il aura donc fallu une guerre à ses frontières pour sortir l’Europe politique de sa torpeur. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février dernier, les dirigeants européens ont fait preuve d’une unité et d’une détermination inattendues, en prenant des sanctions contre Moscou dont personne n’aurait imaginé la rapidité et l’ampleur : suspension du gazoduc Nord Stream 2, fermeture de l’espace aérien aux compagnies russes, exclusion de certaines banques du système Swift, sans oublier la décision inédite dans l’histoire de l’UE de livrer des armes létales à un pays en guerre. En quelques jours, des barrières solidement ancrées sont tombées – en témoigne la volte-face historique de l’Allemagne sur son rôle géopolitique. Sans céder à la sidération d’une guerre qu’on croyait impossible sur le continent, sans tomber dans les travers de la lenteur et de la désunion, l’Europe s’est rassemblée pour revendiquer les atours d’une puissance que Vladimir Poutine avait sans doute sous-estimée.
L’Ukraine n’a pas ce luxe de la patience, soumise quotidiennement aux assauts et aux bombardements
Cela suffira-t-il pourtant à faire reculer le maître du Kremlin ? Rien n’est moins sûr. Vladimir Poutine a répété plusieurs fois sa détermination à poursuivre « sans compromis » son offensive. Et au-delà de leur caractère symbolique, l’impact des sanctions sur l’économie russe pourrait prendre plusieurs semaines à faire pleinement effet, tout comme la livraison d’armes dans les villes aujourd’hui menacées par l’armée russe. Or l’Ukraine n’a pas ce luxe de la patience, soumise quotidiennement aux assauts et aux bombardements. Le pays peut bien se féliciter d’avoir gagné la guerre de la communication, portée par le courage et l’esprit de résistance de Volodymyr Zelensky. Il y a dix ans, l’ancien acteur comique avait incarné à l’écran Napoléon envahissant la Russie d’Alexandre Ier. Mais aujourd’hui, c’est à un autre genre de tsar que le président ukrainien doit se mesurer, dans un duel chaque jour plus meurtrier.
Face au défi de l’offensive russe, l’Europe a opposé avec constance sa solidarité et son soutien à Kiev. Peut-elle aller encore plus loin ? Les dirigeants occidentaux se sont bien gardés, jusqu’ici, de fixer des « lignes rouges » à la Russie, pour éviter l’escalade vers un conflit à grande échelle dont personne ne veut. Mais la poursuite de la guerre, avec ses drames humains, ses bombardements contre les civils, ses risques nucléaires, paraît tout aussi insupportable. Une chose est sûre, confirmée par les demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie à l’Union : l’Europe fait envie. Face à Poutine, il lui reste encore à faire peur.