Le choix des mots est essentiel, surtout lorsqu’on est réputé accumuler les gaffes. Alors en affirmant dans sa première allocution de président élu, le 8 novembre dernier, sa volonté de « guérir l’Amérique », Joe Biden a sciemment placé son mandat sous le signe de la santé retrouvée, après des mois de crises sanitaire et politique. Son allure de toubib à la retraite, son discours apaisé, son expérience personnelle du deuil aussi, le prédisposaient sans doute à endosser le costume de médecin traitant d’une nation fatiguée, traumatisée par l’attaque du Capitole. « Biden est conscient que pour guérir l’âme de ce pays, il faut d’abord en guérir le corps », souligne son biographe Evan Osnos dans l’entretien qu’il nous a accordé. De fait, avec 570 000 morts en quatorze mois, le pays demeure le plus endeuillé au monde, mais la vaccination y progresse à un rythme effréné, de même que la réouverture de l’économie. Et après plus d’un an de cauchemar, l’Amérique rêve désormais d’un retour à la normale d’ici l’été.

Reste que cette « normalité » ne pourrait suffire à apaiser un pays meurtri, divisé depuis tant d’années. Le corps social américain n’a pas attendu la pandémie pour tomber malade, à force d’inégalités criantes, d’angoisses persistantes, d’élans de fièvre répétés, que ce soit au sein des cohortes d’antivax rencontrées par Philippe Coste dans le New Jersey, ou parmi les minorités qui défilent pour réclamer une égalité réelle. Dans un texte puissant, inédit en français, la romancière Zadie Smith évoque ainsi « le virus du mépris », cette pathologie qui empoisonne depuis plusieurs siècles les relations ethniques et sociales aux États-Unis – sans qu’aucun remède n’ait encore été trouvé.

Joe Biden peut-il être ce président thaumaturge, capable de réduire les fractures du pays et de lui faire oublier ses vieilles cicatrices ? A-t-il les instruments nécessaires pour sauver une Amérique au bord du gouffre en janvier dernier ? Le locataire du Bureau ovale affiche en tout cas sa résolution, manches retroussées sur sa blouse blanche, brisant les credo économiques des décennies passées au nom de la lutte contre la pauvreté. Lui, le vieux roublard de 78 ans, fait pour l’instant preuve d’une audace de jeune premier, à la tête d’un cabinet plus divers que jamais. Et l’ancien sénateur du Delaware, ce paradis fiscal pour multinationales, s’est mué en chantre de l’action publique et de la taxation des plus aisés pour financer des programmes sociaux records. Pour l’instant, l’Amérique applaudit, le reste du monde aussi. Mais l’opération séduction ne peut durer qu’un temps. Et il faudra davantage qu’un énorme plan de relance pour réussir cette convalescence.