Ils s’imaginent, ces imbéciles, que j’ai dissous l’Assemblée nationale sur un coup de tête ! Cette décision a été mûrement réfléchie. J’en avais assez d’être détesté, critiqué et insulté à longueur de journée. Et si je changeais de rôle, me suis-je dit ? Si, grâce à une cohabitation, je devenais le chef de l’opposition ? Car il n’y aurait pas deux têtes de Turc à la tête de l’État : selon la Constitution, c’est le Premier ministre qui « dirige l’action du gouvernement », et c’est le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation ». 

À peine entré à Matignon, ce jeune Bardella qui promet de raser gratis va se faire des cheveux. À lui, le déficit budgétaire, les grèves, les gilets jaunes, rouges ou bleus, les immigrés que l’on ne sait ni refouler ni expulser. Mais dans cette cohabitation forcée, entre colocs qui ne se seront pas choisis, qu’il ne s’avise pas de sortir de sa Chambre pour mettre les pieds dans mon domaine réservé ! Rien ne m’empêchera de distiller des phrases assassines dans des conférences de presse et d’exercer mon pouvoir de nuisance, comme savait si bien le faire Mitterrand face à Chirac ou à Balladur. 

Tout va si vite désormais qu’en moins d’un an ce jeune homme apparaîtra dépassé, et les Français réclameront du neuf. Cela tombera bien puisqu’en juin 2025, je serai libre de dissoudre de nouveau. Le maître des horloges, tenant une grosse épée de Damoclès au-dessus de la tête des partis, reviendra au centre du jeu. 

En attendant, je compte beaucoup sur l’incompétence et l’incohérence de ce Premier ministre annoncé pour rappeler mes qualités. Je compte tout autant sur les mesures scandaleuses qu’il voudra prendre, et que je désapprouverai, pour apparaître comme le défenseur de nos valeurs, le pilier de la République, celui qui empêche la dissolution des mœurs politiques.