Ce sont trois affaires qui ont fait les grands titres des journaux ces dernières semaines. Trois histoires profondément dissemblables, et en même temps tristement communes. D’abord la révélation des dizaines d’accusations de viols et d’agressions sexuelles, y compris sur des mineures, à l’encontre de l’abbé Pierre. Puis le viol et le meurtre de la jeune Philippine par un homme déjà condamné pour viol et tout juste sorti de centre de rétention. Enfin, le procès des viols de Mazan, dont la chronique égrène chaque jour son lot d’horreurs. Un saint, un diable et, entre eux, le cortège d’une cinquantaine d’hommes de tous âges et de tous profils, comme autant d’avatars de la banalité du Mal.

Comment empêcher les hommes de violer ? Le titre de ce numéro du 1 hebdo a fait l’objet de vifs débats au sein de notre rédaction. Après tout, et fort heureusement, tous les hommes ne sont pas des violeurs, ni même des agresseurs. Pourquoi ne pas titrer plutôt sur « des hommes » ? Ou s’interroger plus simplement sur « comment mettre fin aux viols » ? Ces titres auraient, sans doute, été légitimes. Mais ils auraient pu jeter un voile pudique sur ce que l’actualité met aujourd’hui en lumière, et sur quoi il faut avoir l’honnêteté de poser les yeux. Ce que Gisèle Halimi appelait, il y a près d’un demi-siècle déjà, la « normalité » du viol, et qui n’est rien d’autre que la sordide banalité de violences commises par des hommes qui se sentent « autorisés » par la culture dans laquelle ils ont grandi, entre sentiment d’impunité, mépris de la personne et machisme ordinaire.

Ce que Mazan et le courage de Gisèle Pelicot nous montrent, ce n’est pas le procès de la masculinité dans sa globalité, dont tout homme devrait se sentir honteux. C’est celui de la domination masculine, de cette construction sociale qui engendre tant de violences et de souffrances, chez les femmes comme chez les hommes d’ailleurs. Reconnaître cette domination et ses séquelles, c’est aussi ouvrir la porte à l’espoir. Car si ces violences sont essentiellement culturelles, alors cela signifie qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il est possible de les combattre. D’abord au niveau individuel – « un homme, ça s’empêche », écrivait Camus dans Le Premier Homme, comme une incitation à résister à ses propres élans de violence, physique ou symbolique, ou à contrer celle de nos proches, de nos frères, de nos voisins. Mais l’effort doit surtout être collectif, en accordant les moyens nécessaires à la police, à la justice ou aux associations de prévention et de soutien aux victimes. Pour que la honte change de camp. Et que le viol ne relève plus jamais de la normalité.