Taxes douanières : le pari risqué de Donald Trump
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Quelles mesures douanières Donald Trump a-t-il annoncées et en quoi sont-elles inédites ?
Les annonces de novembre 2024 préfigurent une augmentation des droits de douane de 10 points de pourcentage sur tous les produits importés par les États-Unis. Cela signifie qu’un bien jusque-là taxé à 5 % devrait désormais l’être à 15 %. Donald Trump souhaite même porter cette augmentation à 25 points de pourcentage sur les produits en provenance du Canada et du Mexique, et à 60 points sur les importations chinoises.
Lors de son premier mandat, il avait déjà augmenté des droits de douane, mais en ciblant quelques produits stratégiques – l’acier, l’aluminium, les lave-linge, les panneaux solaires… Cela représentait environ 380 milliards de dollars d’échanges et ne concernait que certains pays, dont la Chine. Cette fois, absolument tous les produits importés seraient touchés, soit un volume d’échanges d’environ 3 100 milliards de dollars. Et cela vaut également pour les principaux partenaires des États-Unis, comme le Mexique et le Canada, alors même que Washington leur est lié par un accord de libre-échange.
Comment expliquer des hausses d’une telle ampleur ?
En 2018, la politique protectionniste de Trump visait à compenser les comportements de partenaires commerciaux qu’il jugeait injustes. Cette fois, l’objectif est fiscal : les revenus additionnels liés aux droits de douane viendraient compenser, dans le budget fédéral, les baisses d’impôts annoncées. Mais en réalité, les ordres de grandeur sont très différents : les droits de douane perçus pourraient s’élever à plus de 300 milliards de dollars, alors que l’État américain perçoit 2 600 milliards par le biais du seul impôt sur le revenu.
Trump a-t-il les moyens légaux de mettre en œuvre ces mesures ?
Certaines décisions commerciales nécessitent un accord du Congrès, ce qu’il est en mesure obtenir. Mais il peut aussi utiliser des dispositions spécifiques, comme une loi sur l’urgence économique de 1977 qui autorise le président à réglementer le commerce après avoir déclaré l’urgence nationale. La réaction des gouvernements étrangers montre qu’ils prennent ces annonces au sérieux.
Quel est l’impact attendu sur l’économie des États-Unis ?
L’augmentation des droits de douane fait mécaniquement monter le prix des produits importés et a donc un effet inflationniste. Du côté des ménages, cela touchera avant tout les plus pauvres – les plus riches bénéficieront proportionnellement davantage des baisses d’impôts annoncées. Les entreprises des États-Unis vont, elles aussi, subir des hausses de coût car leurs biens de consommation intermédiaire, comme les vis ou les composants aéronautiques qu’utilise Boeing, sont importés. Selon le Peterson Institute, l’inflation aux États-Unis en 2026 pourrait s’installer à un niveau entre 6 % et 9 %. Cela dépend également de la Banque centrale, qui peut décider d’augmenter les taux d’intérêt pour limiter la hausse des prix, quitte à ralentir la croissance économique du pays.
À travers ces mesures douanières, Donald Trump espère également rapatrier la production de certains biens sur le sol des États-Unis. Mais c’était également l’un des objectifs de l’Inflation Reduction Act (IRA) promulgué par Joe Biden en 2022, et cela ne s’est pas produit. Il est très compliqué et coûteux pour une entreprise de relocaliser sa production.
« La Chine va forcément rediriger ses exportations vers d’autres régions du monde, dont l’Europe »
Quelles seront les conséquences sur la Chine ?
Jusqu’en 2022, la Chine était le principal exportateur vers les États-Unis. À la suite de mesures douanières, elle a depuis été détrônée par le Mexique. Avec ces nouvelles annonces de taxes, elle va forcément rediriger ses exportations vers d’autres régions du monde, dont l’Europe. En parallèle, Pékin installe des usines dans des pays tiers comme le Viêtnam ou le Mexique, afin de contourner les droits de douane qui, aux États-Unis, pèsent sur les produits en provenance de son territoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles Donald Trump souhaite surtaxer les exportations mexicaines.
À quoi peut-on s’attendre en Europe ?
L’impact sera très variable selon les pays. L’Allemagne fait partie des cinq plus grands exportateurs vers les États-Unis – en particulier dans les domaines automobile et pharmaceutique. Les mesures annoncées peuvent lui coûter cher. La France, elle, destine 8 % de ses exportations aux États-Unis, notamment des boissons, comme le cognac, ou des produits de luxe. Ces secteurs, faute de débouchés alternatifs, pourraient être éprouvés. La Commission européenne craint également que l’Union ne se retrouve submergée par les exportations chinoises, qui ne trouveraient plus preneur aux États-Unis.
Comment l’UE peut-elle réagir ?
Je pense qu’elle va essayer de négocier avec Donald Trump, comme le fait le Canada. Mais la Commission prépare également des représailles douanières, qui toucheront certains produits.
La grande question sera de savoir si l’UE va respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette institution n’autorise les augmentations de droits de douane que si elle juge le comportement du pays partenaire effectivement injuste, et pour un montant qui n’excède pas les dommages subis. Avec ses droits de douane universels, Donald Trump fait totalement fi de ces règles. L’Union européenne, qui soutient l’existence de l’OMC, va-t-elle suivre ses consignes ou, pour une fois, passer outre ?
« L’UE, qui soutient l’existence de l’OMC, va-t-elle suivre ses consignes ou, pour une fois, passer outre ? »
Quelles peuvent être les retombées de cette guerre commerciale sur l’économie mondiale et sur les pays émergents ?
Le volume du commerce international pourrait se contracter de 3 % à 4 %, un niveau équivalent au recul consécutif à l’épidémie de Covid. Les pays du Sud exportateurs de matières premières, comme l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo ou le Brésil, pourraient voir leurs revenus diminuer. Les pays concernés par le « contournement » chinois, en revanche, pourraient continuer de bénéficier de la situation, à travers des investissements et des créations d’emplois. En termes de PIB mondial, des simulations du FMI prévoient une réduction de 0,5 % de la croissance liée à ces annonces douanières, et une baisse associée de 0,2 % des émissions de CO2.
Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), eux, sont sous le coup d’une autre menace douanière de la part de Donald Trump. Ils avaient émis l’idée de ne plus utiliser le dollar pour leurs échanges internationaux, mais le président élu les a menacés de droits de douane à 100 % s’ils mettaient en œuvre ce projet. La préoccupation, cette fois, est liée à la dette : les États-Unis ont un énorme déficit commercial, et donc une dette vis-à-vis du reste du monde. Pour la financer, il faut que d’autres pays achètent des actifs en dollars – et cette devise est utilisée pour environ 60 % du commerce international.
« L’arme des droits de douane est aussi utilisée à des fins géopolitiques »
Pour l’instant, les Brics semblent rester plutôt passifs face à cette menace. Il n’est pas impossible que Trump négocie un accord avec Poutine, par exemple, pour que la Russie soit relativement épargnée. L’arme des droits de douane est aussi utilisée à des fins géopolitiques. Globalement, rares sont les pays émergents qui annoncent des représailles commerciales envers les États-Unis, car ces mesures auraient des retombées sur leur propre économie.
En fin de compte, les mesures annoncées permettront-elles de rééquilibrer la balance commerciale des États-Unis ?
Tout dépend de la réaction du dollar. S’il prend de la valeur par rapport aux autres monnaies, tous les biens que les États-Unis importent en devises étrangères coûteront moins cher en dollar, ce qui contribuerait à une diminution de leur déficit commercial. Or le dollar a la particularité de s’apprécier en période de crise, surtout si la banque centrale américaine augmente les taux d’intérêt – car cela rend les placements en dollar plus avantageux et attire donc des capitaux vers les États-Unis.
Mais cela aurait aussi pour effet de renchérir le coût des produits américains à l’export, ce qui nuirait à la balance commerciale. Pour l’instant, les modèles anticipent une augmentation du déficit américain, ce qui est l’inverse de l’effet recherché par Donald Trump.
Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER
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