Parce qu’on est en Amérique, tout s’écrit d’abord sur une route. Celle-ci, l’autoroute 101, relie San Francisco à San José et dessert les villes principales de la Silicon Valley. Son statut de foyer des multinationales les plus emblématiques de cette première moitié du vingt et unième siècle – Facebook, Google, Apple, mais aussi Uber, eBay, Yahoo!, Airbnb, entre autres – en a fait la vallée la plus célèbre du monde. Un minuscule territoire et un géant économique : la douzième puissance économique mondiale.

En ce lundi matin, coincé dans une voiture depuis une heure à touche-touche avec mes voisins, je comprends mieux pourquoi les ingénieurs de la technologie numérique s’activent tant pour inventer un univers où les automobiles ne seront plus qu’un lointain souvenir. Seul axe important à desservir la vallée, la 101 est aussi l’un des plus embouteillés d’Amérique. En période de pointe, il faut parfois plus de deux heures pour rejoindre San Francisco depuis le sud de la Vallée contre quarante minutes en heure creuse. 

Dès 2013, un mouvement de protestation contre les « Google bus », lignes de transport privées affrétées par les GAFA pour leurs employés, a tenté d’alerter les autorités locales sur le délabrement des transports publics et sur la gentrification de San Francisco, consécutive à l’installation de ces travailleurs de luxe. Mais la situation semble sans issue, malgré le plan de la ville pour améliorer son réseau de transports. 

Au volant de sa décapotable verte, Oliver, cadre chez Facebook, diplômé en philosophie de l’université Harvard, peste contre tout ce temps perdu pour relier son domicile de Hayes Valley – l’un des quartiers branchés de San Francisco – au « campus » de Facebook où il travaille, à Menlo Park. 

Pourquoi ne pas vivre sur place, ou à Palo Alto, pour éviter ce cauchemar ? « Plutôt mourir ! me dit-il dans un sourire. La Silicon Valley est l’endroit le plus ennuyeux et le plus provincial du monde ! » Ennuyeux, et cher : le prix du mètre carré est l’un des plus élevés des États-Unis, voire du monde occidental. Le coût d’une petite maison atteint souvent des sommes à sept chiffres, et la location n’est pas plus avantageuse : un studio de 40 mètres carrés dans une résidence revient à 2 500 dollars par mois. Lui préfère la vie à San Francisco, les balades dans les quartiers de Mission et du Castro où les restaurants sont nombreux – la cuisine est une religion en Californie, et l’on considère Frisco comme la capitale états-unienne de la gastronomie.

Elle est également en passe de devenir celle de la tech : le boom entrepreneurial – onze sociétés voient le jour chaque semaine – bouleverse les frontières de la Silicon Valley. Longtemps, cette zone englobait seulement le territoire entre Cupertino et Palo Alto, mais aujourd’hui, elle embrasse toutes les villes du nord de San José. Chassées hors de la vallée à cause du prix du foncier, les nouvelles-venues du numérique s’installent dans le Financial District, l’un des seuls quartiers de la ville où la construction de buildings est autorisée.

« Le royaume des ingénieurs »

David est avocat, employé dans l’un des plus importants cabinets de la ville. « Le royaume des ingénieurs », c’est ainsi qu’il surnomme la Valley. « La Silicon Valley est probablement le seul endroit d’Amérique où l’avocat et le médecin ont moins de prestige qu’un ingénieur. » Dans l’économie californienne, le numérique joue un rôle essentiel, et le reste de la société est à son service. Elle est le principal moteur d’investissement et la première source d’emplois de la région. Pour lui, elle est aussi « une plante invasive, un véritable parasite qui contamine l’ensemble de l’écosystème de la société californienne ». Cette ruée vers l’or contemporaine draine des ingénieurs du monde entier ; tous rêvent d’une réussite à la Elon Musk ou à la Reid Hoffman, les fondateurs de PayPal et de LinkedIn : une prise de risque maximale pour créer des entreprises qui révolutionnent un secteur d’activité, engendrant des profits astronomiques en un temps record. 

Ceux d’entre eux qui travaillent dans la même boîte depuis trois ans comptent parmi le

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