La mode est à nouveau au référendum. Alors que ses usages avaient jusqu’alors surtout passionné les juristes, et beaucoup moins le personnel politique, le RIC l’a remis au centre de la scène politique après une longue absence. Sa relative déshérence s’explique en réalité par son histoire mouvementée sous la Ve République. 

Au-delà de ses modalités juridiques, le référendum a principalement contribué à polariser la vie politique française autour de la figure du chef de l’État. Son emploi a constitué dès les premières heures du régime un outil de présidentialisation du système politique, régi par l’article 11 de la Constitution de 1958 qui dispose que le président peut « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Cet article, qui affirme le pouvoir du chef de l’État, a pris le pas sur l’article 89 régissant toute réforme constitutionnelle, en plaçant son emploi sous la responsabilité exclusive du président de la République. Pendant la période gaullienne, il a permis la relégitimation du chef de l’État, qui l’a employé à plusieurs reprises entre 1958 et 1962, avant d’en faire un usage plus modéré dès qu’il a pu imposer son élection au suffrage universel direct en 1962. Instrument de sa puissance, il deviendra celui de sa chute en 1969. 

Après la fin de la république gaullienne, les six consultations nationales organisées entre 1972 et 2005, verront toutes, à l’exception du référendum sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1988, une forte corrélation entre la figure présidentielle et le vote pour le « oui ». C’est l’adhésion (dans la majorité des cas) ou le rejet (occasionnellement) de la personne du président qui conditionne le vote lors de telles échéances. Le plus souvent à son avantage : sur dix référendums soumis aux citoyens, le « oui » l’a emporté huit fois. Seuls deux scrutins ont abouti à une victoire du « non » : en 1969, avec pour conséquence la démission du général de Gaulle, et le 29 mai 2005 qui a vu le projet de Constitution européenne rejeté par près de 55 % des votants. Trois semaines avant cette consultation, Valéry Giscard d’Estaing avait commenté le choix de cette arme plébiscitaire de la manière suivante : « C’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui. » Par la suite, étant donné l’issue négative de ce scrutin, la formule lui avait valu le Prix de l’humour politique (dans la catégorie « humour involontaire »).

Car, au fil du temps, un tel acquiescement aux volontés présidentielles est devenu une gageure. Le référendum paraît s’être transformé en un fusil à tirer dans les coins : dès lors, il n’est pas étonnant qu’il représente un danger politique pour celui qui le manie. D’où une méfiance du pouvoir à son égard, après la débâcle de 2005, où la victoire du « non » avait illustré le décalage abyssal entre le chef de l’exécutif et les citoyens. La consultation était apparue comme une défaite personnelle pour le président de la République, et avait frappé d’immobilisme Jacques Chirac jusqu’à la fin de son mandat. 

Depuis 2005 s’est imposée l’alternative d’une ratification des réformes constitutionnelles et des traités par le Congrès – la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat à Versailles –, devenue la règle pour éviter les potentiels effets boomerang d’un référendum. Cette possibilité pour le président d’opter pour une ratification par les assemblées plutôt que pour le référendum est justifiée dans le discours par le fait que des révisions techniques ne nécessiteraient pas le recours aux citoyens. Cependant, aucun critère ni contrôle ne permettent d’apprécier cette distinction qui, outre qu’elle ne figure pas dans la Constitution, ne lie aucunement le président de la République. Un tel débat ne constitue pas une simple argutie d’experts mais en dit long sur l’évolution du présidentialisme et la défiance des citoyens vis-à-vis de la politique. L’appel actuel au référendum – et l’injonction d’être relégitimé par le peuple – est rendu plus pressant depuis la mise en place du quinquennat en 2000 et l’alignement du calendrier électoral. Il n’est aujourd’hui plus possible de tenir des élections législatives intermédiaires et donc de permettre une alternance au niveau national au cours du mandat du président de la République. D’où un danger de glissement de l’enjeu : le risque devient grand que les citoyens s’emparent de cette consultation nationale pour donner leur opinion sur le pouvoir et non pas pour répondre à la question posée. François Hollande s’est ainsi refusé à recourir au référendum durant son mandat, au prétexte que les citoyens ne répondent jamais à la question mais plébiscitent ou sanctionnent le pouvoir. Le soin que, après de Gaulle et jusqu’à Chirac, les présidents successifs ont mis à se démarquer de la consultation en la dépersonnalisant, semble désormais presque vain. 

Le référendum, par nature plébiscitaire dans le système français, devient donc un piège, aussi bien pour les citoyens que pour le président. Si les premiers devraient en principe réfléchir de bonne foi à la question qu’on leur pose, la tentation est grande pour eux de se saisir de cette occasion pour manifester leur désapprobation du pouvoir. Quant au second, même s’il s’efforce de se démarquer de la réponse apportée par les citoyens, un « non » est toujours un vecteur d’amoindrissement de sa légitimité. 

On sait qu’Emmanuel Macron est aujourd’hui tenté par un référendum à l’issue du grand débat pour se rélégitimer. Dans le contexte de la révolte sociale des Gilets jaunes, marquée par la personnalisation du conflit avec le président de la République, et d’une France sous tension, le risque de coaliser les oppositions est grand. Pour le neutraliser, l’idée est pour l’instant de proposer plusieurs questions afin d’éviter des réponses trop binaires. C’était déjà la stratégie du général de Gaulle lors de la consultation de 1969, mêlant questions sur le Sénat et sur la réforme des régions. 

Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, un tel référendum serait alors pour le président de la République celui de tous les risques. 

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