Ils sont finalement assez rares ces moments où nous avons été acteurs avant de devenir réalisateurs. Que dois-je apprendre à mon fils ? Cette question n’est-elle pas nourrie par ma propre enfance ? Qu’ai-je aimé ? De quoi ai-je manqué ? Il me semble avoir navigué trop souvent dans le manque d’intérêt de mes parents. On me demandait trop peu ce que j’aimais ou ce que j’avais fait de ma journée. J’étais un roman qu’on ne lisait pas. Ainsi, je rattrape cette faille en bombardant sans cesse mon fils de questions. Plus tard, il aura probablement le sentiment d’avoir été élevé par une sorte de disciple de la Stasi. De cette névrose découle ce qui me semble la première chose à apprendre, et peut-être l’unique : le goût des autres. Les enfants ont une nette tendance à l’égocentrisme le plus total. Et les parents sont par essence responsables d’avoir procréé des monstres boursouflés par leur ego. La normalité : dès qu’ils naissent, on développe à leur égard une option gagatisation jusqu’ici sous-exploitée. Nous les mitraillons de photos, devenant ainsi des Japonais obsédés par un unique monu­ment : notre progéniture. C’est ici qu’il faut très vite faire attention. Et dévier de cette distorsion en développant leur capacité d’intérêt aux autres. Souvent j’interroge mon fils quand il revient à la maison après avoir joué au football avec un copain : as-tu demandé à cet ami comment il allait ? où va-t-il partir en vacances ? etc. Et bien sûr, je lui conseille de réellement écouter les réponses ; de ne pas poser les questions avec la léthargie dépressive que je lui connais quand il doit ouvrir son cahier Passeport au milieu de l’été. J’ai envie de lui apprendre davantage que de poser des questions, j’ai envie de lui ­apprendre à écouter les réponses. Je ne voudrais pas qu’il devienne une machine ­artificielle à curiosité insensible. Cette curiosité des autres deviendra, je l’espère, la curiosité de tout. J’essaye ­d’apprendre à mon fils à voir des films qui ne l’intéressent pas, à arpenter des expositions dont le sujet l’ennuie profondément. Il me semble qu’il faut apprendre avant tout le désir de ne pas se laisser enfermer dans ce que l’on aime. Développer son goût c’est bien sûr majeur, mais il faut tenter de le confronter sans cesse à l’incertain, ­l’improbable, et la contradiction même. Est-ce que l’appétit du savoir ­s’apprend ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, on peut développer sans cesse la sensation d’être un petit point dans l’univers de la connaissance. C’est sûrement l’enjeu majeur, tout faire pour s’ouvrir au monde. Et c’est d’autant plus déterminant à l’heure où l’on voit tant d’enfants le dos voûté sur une tablette saturée en jeux vidéo. Mais pour cela, je devrais bien sûr donner l’exemple, et être moins sur Twitter par exemple. On voudrait tant que nos enfants soient la meilleure version de nous. 

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