Quelque chose de pourri en Terre du Milieu…
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« Rien n’est mauvais au début. Même Sauron ne l’était pas. » Elrond justifie en ces termes son refus de laisser quiconque utiliser l’Anneau, fût-ce pour vaincre celui qui menace d’envahir toute la Terre du Milieu afin d’y asseoir sa domination. Dans l’univers biblique imaginé par Tolkien, le mal n’est pas une réalité originelle, mais un produit dérivé. Il est, par essence, détérioration de ce que le Créateur, lumineux et bon, nommé « Eru Ilúvatar » dans le Silmarillion, a façonné à son image. Point de Méchants, donc. Mais une ribambelle de corrompus !
Au commencement est la musique. Se faisant chef d’orchestre, Dieu offre le don de créativité à ses archanges musiciens, les Ainur, afin qu’ils participent à la composition de ses symphonies. Seulement, l’un d’entre eux, Melkor, rebelle et orgueilleux, chante à son propre diapason et fait systématiquement régner la cacophonie. Ainsi fut créé le monde, portant déjà en lui les germes de son délitement. Le premier visage du mal est celui de la dysharmonie introduite par l’individualisme égoïste et, par-dessus tout, la soif aveugle de contrôler. C’est parce qu’il ne peut posséder les créatures engendrées par Eru que Melkor, de dépit, les détruit. Le Mal ne peut pas laisser être : il doit avoir.
« jouir, en épicuriens accomplis, des doux plaisirs du temps présent »
Les mots d’Elrond sonnent dès lors comme une mise en garde : la maladie qui frappe la Terre du Milieu est incurable, elle s’insinue partout et on ne peut espérer, de luttes acharnées en victoires provisoires, que la rémission jamais la guérison. Les fléaux qui s’abattent sur l’univers tolkienien sont comme la peste du roman de Camus : ils peuvent rester dormants des siècles durant, puisant leur énergie dans l’attention déclinante des mortels et dans leur indécrottable tendance à l’amnésie, jusqu’à ce que leur heure sonne. Après avoir trahi Isildur, l’Anneau reste « perdu » pendant 2 500 ans, jusqu’à être ramassé par Gollum, qui lui-même le gardera près de cinq cents ans avant qu’il ne finisse dans la poche de Bilbo. Outre sa patience, la force du Mal tient essentiellement à deux facteurs : sa capacité à s’incarner et à se diffuser dans la matière – terre, chair ou métal – afin de dépasser l’obstacle de la vulnérabilité, et la facilité avec laquelle il s’adapte au profil et aux failles de l’hôte qu’il colonise. La malveillance de Morgoth (alias Melkor) survit ainsi à son emprisonnement et continue à corrompre les peuples du monde. C’est suivant la même stratégie que Sauron, son fidèle serviteur et héritier, parvient à maintenir son emprise sur la Terre du Milieu grâce à la transplantation de son pouvoir dans l’Anneau unique. Comme toutes les créations d’Eru, Sauron était bon, à l’origine. Et c’est en jouant sur son goût pour l’ordre et l’équilibre que Morgoth parvient à le rallier à sa cause et à faire muter son souci d’harmonie en besoin maladif de subjuguer les autres, au point que le pouvoir, de simple moyen, devient chez lui aussi la fin ultime.
Parce que l’Anneau puise son potentiel séducteur dans les imperfections de ses victimes, son ascendant sur ces dernières est proportionnel à leur faiblesse morale. Rapide et total chez ceux qui ont toujours désiré dominer (les rois humains porteurs des neuf anneaux de pouvoir qui deviendront les Nazgûl ou le magicien Saroumane), il rencontre plus de résistance chez les personnages qui sont nobles de cœur (Aragorn), attachés à une vie simple (les Hobbits) ou suffisamment sages pour se tenir éloignés de ce piège doré (Gandalf et Galadriel). De quoi éclairer la surprenante décision du conseil d’Elrond : pourquoi confier une tâche aussi cruciale que la destruction de l’Anneau à une créature en apparence aussi démunie que le Hobbit Frodo ? Parce qu’il ne veut pas de l’Anneau, précisément. Là où Gollum désirait le posséder tel un « précieux » trésor, Boromir en faire une arme, et même Bilbo l’utiliser pour disparaître à sa guise au gré de ses aventures, Frodo le porte d’emblée comme un fardeau. Lui et son ami Sam ne nourrissent pas de rêves de futur glorieux : ils jouissent, en épicuriens accomplis, des doux plaisirs du temps présent. Ils n’aspirent pas à dompter la nature, mais à admirer sa beauté et à profiter de ses bontés avec reconnaissance et humilité. Convives plutôt que conquérants, ils sont, en somme, trop aisément comblés pour laisser l’aiguillon du désir les piquer. C’est d’ailleurs pourquoi Sauron n’a jamais cherché à embrigader les Hobbits, qu’il jugeait trop insignifiants. Grave erreur.
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Le roman des langues
Damien Bador
Un zoom sur l’importance des langues dans l’univers de Tolkien, par le tolkiénophile Damien Bador.
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